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 Foi, religion, croyances ...

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MessageSujet: Re: Foi, religion, croyances ...   Foi, religion, croyances ... - Page 6 Icon_minitimeLun 15 Nov - 0:50

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Guy GILBERT


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MessageSujet: Re: Foi, religion, croyances ...   Foi, religion, croyances ... - Page 6 Icon_minitimeLun 15 Nov - 0:57

https://youtu.be/Do5_aUPj1xA



Guy GILBERT


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MessageSujet: Re: Foi, religion, croyances ...   Foi, religion, croyances ... - Page 6 Icon_minitimeLun 15 Nov - 1:12

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Guy GILBERT


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MessageSujet: Re: Foi, religion, croyances ...   Foi, religion, croyances ... - Page 6 Icon_minitimeLun 15 Nov - 1:24

https://youtu.be/i-EwKvEu_-o



Guy GILBERT


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MessageSujet: Re: Foi, religion, croyances ...   Foi, religion, croyances ... - Page 6 Icon_minitimeLun 15 Nov - 1:36

https://youtu.be/mOSw_94NAvA




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MessageSujet: Re: Foi, religion, croyances ...   Foi, religion, croyances ... - Page 6 Icon_minitimeLun 15 Nov - 1:44

https://youtu.be/OrFh389kdjk




Guy GILBERT


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MessageSujet: Re: Foi, religion, croyances ...   Foi, religion, croyances ... - Page 6 Icon_minitimeLun 15 Nov - 1:54

https://youtu.be/eoWNS7rtvus


Guy GILBERT


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MessageSujet: Re: Foi, religion, croyances ...   Foi, religion, croyances ... - Page 6 Icon_minitimeMar 16 Nov - 13:07

Maurice Bellet

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

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Maurice Bellet, prêtre français, né en 1923. Son œuvre considérable (plus de 50 titres) explore des domaines aussi variés que la théologie, la psychanalyse, la philosophie ou l'économie.
Quel est l’avenir de la foi chrétienne confrontée au délitement du christianisme comme système idéologique et institutionnel ? Quelles sont, par delà les violences et la mort, les perspectives pour l’humanité ? Dédiant son œuvre à tous les hommes de bonne volonté, Maurice Bellet cherche à dépasser les problèmes insolubles propres aux discours dogmatiques pour ouvrir de nouveaux horizons. Il adopte un ton fraternel (L’Épreuve) ou critique (Le Dieu pervers). À l’écoute du cœur de l’homme et d’une « parole qui vient de Dieu », il défend la liberté de l’Évangile face à un certain christianisme fondé sur la peur et la culpabilité.
Bibliographie sélective [modifier]


Pour connaître son parcours

  • La Longue veille : 1934-2002, Desclée de Brouwer, 2002
  • Un Trajet vers l’essentiel, Seuil, 2004

Spiritualité et théologie

  • Le Dieu pervers, Desclée de Brouwer, 1979, 1998
  • La Voie, Desclée de Brouwer, 2000 (réédition)
  • Christ, Desclée, 1990
  • L’Amour déchiré, Desclée de Brouwer, 2000
  • La Quatrième hypothèse : Sur l’avenir du christianisme, Desclée de Brouwer, 2001
  • La traversée de l’en-bas, Bayard, 2005
  • Le Dieu sauvage, Bayard, 2007
  • Dieu, personne ne l'a jamais vu, Albin Michel, 2008

Psychanalyse

  • Foi et psychanalyse, Desclée de Brouwer, 1973
  • Dire ou la vérité improvisée, Desclée de Brouwer, 1990
  • L’Écoute, Desclée de Brouwer, 1999

Économie

  • La Seconde humanité : De l’impasse majeure de ce que nous appelons l’économie, Desclée de Brouwer, 1993
  • Le Sauvage indigné, Desclée de Brouwer, 1998
  • Invitation : Plaidoyer pour la gratuité et l’abstinence, Bayard, 2003

Essais

  • Le Lieu du combat, Desclée, 1976
  • L’Épreuve ou le tout petit livre de la divine douceur, Desclée de Brouwer, 1988
  • Les Survivants, L’Harmattan, 2001 (réédition)
  • Je ne suis pas venu apporter la paix..., Albin Michel, 2009

Roman

  • Les Allées du Luxembourg, Desclée de Brouwer, 1996
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MessageSujet: Re: Foi, religion, croyances ...   Foi, religion, croyances ... - Page 6 Icon_minitimeMar 16 Nov - 13:21

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<td class=contentheading width="100%">La rage de la perfection </TD>
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1. La première vérité


Je voudrais dire une chose, une seule chose, je voudrais la clamer, la chanter, la hurler, pour qu'elle puisse enfin être ENTENDUE. Car je connais des gens qui la savent, qui la disent, qui l'enseignent et qui ne l'entendent pas. La preuve : leur vie est comme écrasée de l'absence de cette chose-là. Et c'est une chose simple, infiniment simple, qui ne demande aucune érudition pour être comprise, aucun effort pour être atteinte. Elle est donnée là, donnée d'avance. Et en plus, si j'ose dire, c'est la vérité chrétienne, toute la foi chrétienne ne fait que dire ça, mais le dire à fond, le dire absolument, le dire sans réserve.

Qu'est-ce donc?

C'est que nous n'avons pas à mériter l'amour. Ou, en bon et honnête langage chrétien, Dieu, Dieu lui-même, le fameux Tout-puissant, Dieu nous aime le premier, il nous aime tels
que nous sommes, il nous aime d 'abord, et rien, absolument rien ne peut entamer cet amour indéfectible. (1)
Et si nous croyons en Jésus Christ, c'est parce qu'il est le visage et la voix de cet amour-là, et que les signes qu'il donne d'être auprès du Père ne sont pas les fantasmagories attendues par la crédulité publique, mais c'est le soin, encore le soin, la nourriture, la paix du cœur, le retour des enfants perdus, l'amour, enfin, la haute et humble tendresse, la divine douceur, si forte, si impitoyable à tout ce qui veut meurtrir l'homme.
La foi chrétienne, relisez l'Épître aux Romains, ça commence comme ça: je n'ai plus à me tourmenter de mon impuissance, je n'ai plus à enrager de mes faiblesses, je n'ai plus à me tendre dans une raideur désespérée pour me rendre conforme à ce qu'il faudrait que je sois pour que Dieu daigne enfin abaisser son regard sur moi. Car c'est Dieu lui-même qui vient vers moi, m’aimant en son Christ notre Seigneur, pour transformer mes démons en diables de papier, et faire de ma faute cette vieille peau morte qui tombe au lever du jour.
Le grand commencement, c’est que Dieu est en nous grâce, c’est-à-dire don, cadeau, pure libéralité. Et ce cadeau, c’est ma vie, ma liberté, ma bonne puissance, une jubilation d’exister inentamable, une communion avec toutes choses et avec mes frères qui peut subsister à travers tout.
Le grand commencement, c'est la foi que rien ne peut nous séparer de cet insaisissable amour venu d'En-haut et que nous ne pouvons ni produire ni maîtriser, bienheureuse
impuissance, car elle nous défait de cette prison, le moi revendicateur et apeuré. JE SUIS ! Puisque Dieu, abîme d'inconnaissance, se fait en moi ce souffle et ce soulèvement où resurgit la création, et plus forte infiniment qu'aux premiers jours du monde.

*
Tout le monde sait ça : je veux dire, parmi les chrétiens.
C'est la banalité même. Et pourtant, j'ai dit et je répète : cet parole est peu entendue. Du moins, je le crains. Du moins, c'est le cas de trop de gens que j'ai connus. Et quels gens!
Dévoués, engagés, consacrés, vraiment et par le plus sérieux d'eux-mêmes.
Cette parole n'est pas entendue de la bonne oreille, cette oreille qui entend la parole à la jointure de l'être, là où sont les enjeux absolus, la vie et la mort, la folie et le sens, la damnation ou la liberté. Cette oreille que devait bien avoir le paralytique, quand le jeune rabbi lui disait: « Lève-toi et marche », ou Zachée tout heureux quand il lui disait: « Le bonheur est entré dans cette maison. »
Oui, j'ai connu, je connais des gens croyants, dévoués, sincères – je voudrais bien être aussi vertueux qu'ils le sont – et pour qui cette parole qu'ils savent, qu'ils disent, qu'ils enseignent, est comme murée dans un incroyable silence.

La preuve: leur tristesse.

Leur tristesse secrète, par-dessous la joie obligatoire, le bel entrain de la volonté, la bonne figure qu'ils font en toute circonstance.
Ou, en d'autres cas (ou les mêmes à d'autres moments ?) leur épouvantable tristesse étalée, irrésistible.
D’où vient-elle, cette idée que nous devons mériter l’amour ? Qu’il faut d’abord nous montrer dignes et qu’ensuite, ensuite seulement, nous serons aimés ?
Dire qu’elle vient du christianisme est assez étrange, puisque la foi chrétienne commence précisément par mettre fin à cette idée-là ! Ou est-ce qu'il y aurait, chez les chrétiens et dans leur foi même, quelque chose qui irait à contresens ? Mais encore, d'où vient le contresens ? Peut-être, sans doute, d'une tentation très profonde, celle d’Adam et d'Ève au jardin, celle du Christ au désert, quand l’Ennemi – le menteur-meurtrier à l'origine – use de la parole de Dieu pour prendre l'homme au piège de la mort. «Dieu n’a-t-il pas dit... ?» Dieu n'a-t-il pas dit en effet, et par Jésus lui-même, que nous devions obéir aux commandements, être
parfaits comme notre Père est parfait, dépasser la justice des Pharisiens en nettoyant à fond le dedans de la coupe et du plat ? «On vous a dit... moi je vous dis... »
Mais ces paroles, on ne peut les entendre qu'à entendre en elles, comme tout à fait premier, l'amour du Père qui veut notre vie – et rien d'autre ...
Toutefois, le redoutable contresens peut trouver appui, ou se cristalliser, dans une certaine idée qu'on se fait du bien, de la perfection, de la sainteté. Je vais en dire quelques mots.


2. La trop belle image

L’Évangile est mystérieusement sans contenu. Je veux dire : sans législation, sans méthodes ascétiques ou mystiques, sans philosophie, sans doctrine même, au sens ordinaire du mot. I1 est au-dessus et plus au fond, par-delà et en amont, non point le noyau mais le cœur du noyau. En ce monde, point de ce monde.
L’Évangile sera toujours inscrit. Entreprise redoutable. Elle prête à déviance. Car il faut que l'Évangile prenne figure en ce monde, parmi les choses humaines ; mais cette figure, à chaque fois, est menace de sa perte. Pour ce qui nous importe ici, ce seront les figures de l'homme parfait, de l'homme accompli, que désigneront, dans le langage courant du monde catholique, les mots redoutables de saint et de sainteté.
« Jean est venu ne mangeant ni ne buvant, et vous dites que c’est un possédé. Le Fils de l’homme est venu mangeant et buvant et cours dites que c’est un ivrogne et un glouton. » Les plus proches du Christ seront ses apôtres ou envoyés. Non point sages sur la montagne ou renoncés au fond des grottes, mais courant le monde, offerts aux hommes, aussi à l'aise, dira
Paul, dans l'abondance que le dénuement; hommes de la parole, jetés dans l'action (comme leur Seigneur), brassés dans le grand pétrin de la pâte humaine.
L'ascèse n'est pas une création chrétienne. Il y a des moines ailleurs ; bouddhistes, entre autres. L'Inde a une science de l'ascèse, antique, immense. La sagesse grecque savait le prix de l'abstinence ; même l'Épicurisme, le vrai, consiste à s'en tenir aux plaisirs naturels et nécessaires, avec juste un peu des naturels non nécessaires : règle impitoyable à nos envies.
Quand la foi chrétienne se fait ascétique, qu'est-ce qu'elle fait au juste? L'union entre l'Évangile et l'ascèse ne va pas de soi. L'ascèse réfère au désir de paix intérieure, « l'apathie », le non-pâtir des Grecs ; au désir d'élévation de l'âme vers l'Ineffable ; ou, enfin, à la venue en l'homme de ce grand non-désir qui le délie de toute attache et de toute soif.
L'Évangile est amour. Le cœur de l'Évangile, le cœur de Dieu, c'est agapê, la très pure et brûlante tendresse qui enveloppe et enflamme tout l'homme. Car c'est feu. C'est plus violent que le désir. C'est le grand divin désir qui n'aspire qu'à l'amour même...
Cet amour ne délie pas de la douleur. Il la fait lever au contraire. Il révèle au monde sa douleur inconnue. Il ne la dissout pas – ce serait quitter l'homme – il la traverse et la
transfigure. Non qu'il aime la douleur : comment l'amour aimerait-il la douleur ? Sa substance est toute joie, l'amour n'est que jubilation. Mais parce qu'il aime, l'amour préfère pâtir que moins aimer.

Et l'ascèse, là-dedans ?

Il y a deux pièges, qui ne furent pas toujours évités (et peut-être bien d'autres, auxquels je ne pense pas).
Le premier, c'est que l'ascèse peut quitter l'amour. La voie du Christ se confond alors avec la voie des antiques sagesses. Voici l'homme seul (n'est-ce pas le premier sens du mot
« moine» ?) ; seul avec l'œuvre de se défaire de toute attache et de s'élever vers le seul nécessaire. Mais le lieu premier du Fils venu en chair d'homme, c'était la communion. «Là où
Deux ou trois sont réunis en mon bom, je suis. » A la place de cette tendresse qui, dans l’Évangile, est Dieu, vient ici la bienveillance que l’homme délivré des passions accorde à toute créature. C’est bien mais c’est autre chose.
Le second piège, c’est que l’ascèse vienne se loger dans la douleur de l'amour. Chemin des mortifications frénétiques, de destruction qui témoignera, pense-t-on, de l'intensité de
l’amour. Si je me crucifie, ne suis-je pas proche du crucifié ? Mais i1 ne s'est pas crucifié lui-même, il s'est offert à la folie des hommes pour que Dieu passe jusqu'en cet abîme et que rien
ne soit en dehors de son amour. Et qu'est-ce que cet éloge de la maladie qui a circulé parmi les chrétiens ? Quand Jésus voit un malade, il ne lui prêche pas la croix, il le guérit. Est-ce que l’imitation de Jésus Christ s'arrêterait au seuil de sa grande bonté ? Et si nous ne pouvons guérir comme lui, tâchons du moins de garder son esprit.
Condamnerons-nous l'ascèse? Ce serait bien sot. Car Jésus a aussi jeûné. Mais pour l'homme de l'Évangile, l'ascèse n'est pas première, elle n'est même pas essentielle.

*

La modernité, si éprise de liberté, si fortement insurgée contre les perversions de la tradition, serait aussi, selon Michel Foucault, l'âge de la discipline. C'est au XVIIIe siècle que paraît l’automate, figure de l'homme enfin totalement produit ; et que Frédéric Il transforme ses soldats prussiens en automates militaires ; et (toujours selon Foucault), que les frères des écoles chrétiennes en font autant avec leurs élèves. Mouvements réglés, tous ensemble, parfaite conformité. Le temps est celui de l’horloge. Il nous faut des soldats, des ouvriers, des citoyens utiles.
C’est au XVIIIe siècle que Kant sauve, pense-t-il, la conscience morale des désastres métaphysiques : «tu dois », l'impératif catégorique, est le commencement, le premier mot de l'esprit en nous.
Aucun rapport entre la hauteur morale de Kant et les procédures disciplinaires ? Historiquement, je me garderai bien d'en rien dire. Mais je vois bien, en revanche, comment les deux peuvent se joindre pour produire concrètement l'homme convenable, l'homme en règle, l'homme en paix avec lui-même et adapté avec justesse à l'exigence sociale. Dedans, le sens du devoir, le grand « il faut» qui précède tout, qui mènera le paysan ou l'ouvrier aux tranchées de la Grande guerre, qui tiendra les humiliés et les écrasés dans le respect des lois, et les époux mal joints dans la stricte observance des apparences de l’amour. Dehors, les législations, règles et règlements, les procédures, les bonnes manières, les choses à dire et à faire – tout le savoir – qui préserve l’homme ou la femme de cette chose horrible : la perplexité, l'imprévu, le non-prescrit, la nécessité de la clarté du cœur.
Un certain christianisme traditionnel s'arrange au mieux de cette modernité-là. Il s'y retrouve, et pour cause : il en vient. Il y a ainsi un traditionalisme qui n'est point du tout la
tradition chrétienne, la grande obéissance à l'Esprit (c'est liberté) mais qui est l'attachement féroce aux traditions des hommes, badigeonnées de christianisme.

*

Il y a bien des années, je me trouvais prêtre de garde, comme on disait, dans une grande paroisse de Paris. On voyait de tout. Un jour, je vis venir à moi une pauvre petite prostituée. Je me souviens encore de son nom : Anne-Marie. Elle me dit qu’allait partir pour un bordel d'Afrique du Nord. Je la mis en garde. C'était bien inutile ; elle savait qu'elle partait pour l’horreur et la mort.
« Mais, me dit-elle, la fille qui devait y aller a un enfant. Il faut qu'elle puisse s'occuper de son enfant. Alors, je pars à sa place. »
Seigneur Dieu!
Peut-être était-ce l'instinct suicidaire, le masochisme, la culpabilité morbide, je ne sais quoi. Mais peut-être était-ce vrai. Et peut-être les deux.
Qui d'entre vous, bonnes gens, prendra la première pierre ? Et même, bonnes gens, qui d'entre vous aura quelque chose à dire ? Et quoi ?
Je crois, ou plutôt je sais, qu'il y a des êtres humains (j’en ignore le nombre) qui vivent la sainteté du Dieu de Jésus Christ hors des chemins tracés, hors de toute loi, dans les abîmes, dans le monde froid, dans le fond de la mer. Pour qui ne pas se tuer (les pilules sont sous la main) est minute à minute un acte de foi dont l'héroïsme pourrait faire pâlir bien des héros de la foi. Pour qui ne pas céder au désir compulsif, frénétique, fou, ou le retarder un peu, demande un courage, un amour, une vertu cent fois plus grands qu'à d'autres le maintien
tranquille d'un célibat heureux. Pour qui ne pas désespérer de Dieu, ne pas vomir le Christ et rester là, muets, immobiles, dans l’attente impossible que la parole aimante renaisse de ses cendres, est un amour de Dieu sans goût et sans consolation, mais plus fort que la mort où ils sont.
En retour, il y a quelque chose qui demeure incompréhensible chez beaucoup de croyants : c'est leur dureté. Je ne parle point ici des hypocrites ; je parle des gens qui ont, autant qu'on puisse savoir, une foi sincère, un désir réel du bien, voire une conscience chatouilleuse et des engagements coûteux au service de Dieu et des hommes.
Comment peut-on être riche, riche à crever, et savoir que cette richesse provient tout droit du sang des pauvres, et aller à la messe, et se confesser « j'ai eu de mauvaises pensées »)
et défendre crânement la vraie religion contre ses adversaires ? Comment peut-on être théologien, et bon théologien, être écouté et faire du bien, et crever de jalousie envers les collègues, et soupçonner l'orthodoxie des autres, et ne concevoir sa propre grandeur que dans l'abaissement d'autrui ? Comment peut-on être dévoué, donné, consacré 24 h sur 24, et être incapable d'entendre, fermé impitoyablement à la douleur réelle d’autrui, à sa demande réelle, et opposer à la vérité des gens l’implacable savoir du bien ? (2)
Ainsi y a-t-il d'un côté ces dévoyés, ces pauvres fous, ces gens de péché qui, dans leur errance, peuvent témoigner du Dieu vivant et de l'autre ces gens de bien qui peuvent être pris sans même le voir dans les filets du Mauvais.
Vieille histoire. «Je te remercie. Seigneur, de ce que je ne suis pas comme les autres hommes... »
Et l'autre, dans le fond : «Pitié de moi, qui suis pécheur. » Et celui-ci s'en fut justifié – pas le premier. On s'en est beaucoup servi, de cette histoire, pour discréditer la vertu. Contre-
sens complet. Le bien est le bien, le mal est le mal. Mais le bien et le mal en nous sont mêlés, mélangés, ils passent l'un en l’autre. Les cartes sont brouillées.
Méfions-nous du miroir, de la perfection du miroir ! L’homme moderne a beaucoup aimé l'introspection et le chrétien l’examen de conscience. Je me regarde et me compare au
modèle saint. Suis-je conforme ?
Mais peut-être n'as-tu vu dans le miroir que ton illusion ? Et peut-être ne vois-tu dans le modèle que le miroir de tes rêves ?
L’image se défait ; l'image de cette perfection qui est comme un tableau à remplir : une figure peinte sur le mur qu'il faudrait imiter !
Notez bien: le contenu peut varier. Il y a la perfection à couleur janséniste et individuelle, dure répression intérieure, forçage des humeurs, introspection morale. Mais il y a aussi la perfection à couleur collective et militante, tension forcenée dans l’action, dévouement épuisant, critique réciproque sans pitié.
Le trait commun, c’est cette rage de parvenir à l'image satisfaisante de soi. Image pour Dieu, mais pour un Dieu qui, sous ses vêtements d’amour, a la poigne du despote.
A moins que ce ne soit, en ultime vérité, image pour soi, image pour se justifier et s'apaiser enfin soi-même ; Dieu ne ferait office que de support et garant.
Peinture cruelle. Est-elle juste ? Si l'on veut l'appliquer aux gens pour les juger, sûrement pas. Mais, dans son excès possible, ne dit-elle pas une menace réelle ? Ne dit-elle pas la pente dangereuse d'une conception de la perfection qui finalement oublie et Dieu et l'homme au profit de son grand fantasme ?
Mais il faut bien que ce fantasme ait des motifs, tout de même ! En effet, il en a.
Il donne à l'homme le sentiment qu'il peut atteindre le but, le grand but, l'accomplissement, la vie, la vie éternelle, en faisant l'économie et de la vérité, et de l'autre. Car la vérité me déloge de ce rêve, elle me renvoie à ce que je préférerais ne pas savoir de moi. Et l'autre m'enlève de cette place : car il me signifie que la vraie vie est dans la relation, dans l'amour et son épreuve, et non dans la poursuite solitaire de mon idéal.

*

Si je prends ma liste des grands hommes depuis, disons, le XVle siècle, qui donc s'y trouve ? Et j'entends par grands hommes ceux qui comptent pour moi, dont les œuvres m'ont
nourri, qui ont contribué à faire le paysage où je vis et à me faire moi-même.
Et qui ont été essentiels à ma foi. Pas nécessairement parce qu'ils étaient chrétiens, mais parce qu'ils provoquaient ma foi à se dire, parce qu'ils exprimaient l'humanité où j'avais à vivre l'Évangile. Et bien sûr, pour certains d'entre eux, parce qu'ils donnaient à l'Évangile un visage ou une voix pour le temps où je suis.

Qui vais-je nommer?

Eh bien, par exemple, au hasard et en vrac – Jean-Sébastien Bach, Descartes, Kant, Maurice Blondel, Mozart, Beethoven, Schubert, Ravel, Stravinsky, Rembrandt, Molière, Balzac, Dostoïevski, Nietzsche, Freud, Shakespeare, Montaigne, Hegel…
En vrac ! Liste partielle et subjective, comme on dit. Pas beaucoup de saints, là-dedans. Pas beaucoup de théologiens. Si j’avais pris le Moyen Age, ç’aurait été différent. Mais pour les temps modernes...
C’est comme si la sainteté s'était retirée des grands lieux d’initiative de la culture, comme si elle s'était enclose hors de ce qui fait la vie des hommes.
Que peut-on en conclure ? Que l'Église des temps modernes a raté son affaire, laissé partir d'elle les forces vives ? Ou bien au contraire que ce monde s'est condamné lui-même, en se livrant avec frénésie à toutes ses productions et en oubliant l’œuvre essentielle : construire l'homme ?
Il est vrai que ce qui frappe, en ces hommes que j'ai nommés, c’est qu'ils valent par leurs œuvres. Quant à leur personne même, mon Dieu, c'est variable. Quelles misères, quelles faiblesses, chez beaucoup ! Ils ne sont pas des « modèles », non seulement de sainteté, certes, mais même de santé, d'équilibre, d’honnête vertu humaine. Mais l'esprit moderne est prêt à tout pardonner pour l'œuvre. Verlaine et Rimbaud, par exemple, peu importe leurs misères, leurs vices ! L'œuvre sauve tout, l’œuvre est leur vérité et leur justice.
A quoi l'on peut opposer l'antique chemin de sagesse : pour le sage, l'œuvre est lui-même ; c'est d'édifier en lui l'homme vrai et accompli qui est but et justification.
Ambition en apparence bien plus haute. Mais, toujours pour la modernité, ambition morte, voire suspecte : l'homme n’est jamais ce cristal ; l'homme ne prend sens qu'en l'histoire, et l’histoire est œuvre, et non retrait dans l'éternel.
Mais le saint, où est-il dans cette affaire ? Ne se dit-il pas pécheur ? Ne faut-il pas le prendre au sérieux quand il reconnaît et déclare, jusqu'à en être agaçant, qu'il n'est que misère? Passons sur le style ou les abus possibles. Il doit bien se dire là quelque chose qui importe.
Le saint ne s'imagine pas lui-même comme le parfait. Et si son oeuvre est l'homme, c'est une œuvre en cours, inachevée, une ébauche. Et elle n'a quelque chance de vérité que par
l’amouren elle, et l'amour est don, l'amour est œuvre, fût-ce invisiblement.
L’Évangile ne dit-il pas qu'on juge l'arbre à son fruit ? L’image évangélique de la perfection n'est-elle pas le grain qui, à travers pourrissement, sommeil hivernal, déchirement du printemps, en vient dans la splendeur de l’été à donner fruit : trente, soisante, cent pour un ?
Elle ne consonne pas si mal à l’Évangile, l’idée que ce qui juge l’homme est en ce qui sort de lui, en ce qu’il engendre. Mais la question, c’est : en quelle œuvre l’homme peut-il s’accomplir ? Quel don doit-il donner au monde pour que se manifeste en lui le Don premier, le grand souffle créateur ?
On peut craindre que le souci chrétien de ne surtout rien faire de mal ait un peu rétréci l'immensité du don. Au risque, chose horrible, de faire paraître l'Évangile mesquin.

*

Luther : il a voulu la perfection, il s'est fait moine, il a échoué. Le cœur de son destin n'est point la haine de Rome, mais la crise absolue où le jette son échec et l'issue qu'il a découverte : que ce qui est premier, ce n'est point nos œuvres, c'est la grâce.
Quel malheur, quel immense malheur que cette découverte soit devenue fracture de l'Église ! Car il est certain qu’elle touche une vérité essentielle. Mais la vérité de cette vérité est réconciliation de l'homme avec lui-même, en Dieu. En sorte que le don primordialement fait à l'homme soit en lui une liberté neuve, déliée de l'avidité comme de l'angoisse, des envies forcenées comme de la culpabilisation. Et cette liberté sait user du volontaire et de l'effort – quand la tâche le veut – mais souplement s'abandonner au travail qui se fait en l'homme, hors de maîtrise. Et en ce travail la liberté se retrouve agissante, plus profonde et décisive qu'en la décision volontaire, mais liberté libérée de la solitude où l'enfermait l’illusion du seul, du soi-disant « sujet » qui peut tout.
Cette réconciliation-là, ce souple mouvement où s'harmonisent en l'homme toutes ses puissances dans la clarté efficace du don, ou de la grâce, je crois bien que l'homme d’Occident
l'a perdue. Fractures partout. Entre Dieu et l'homme, certes. Les mortelles controverses sur la grâce ont accrédité l’idée qu'en somme, ce qu'on donnait à Dieu on l'ôtait à l’homme, et réciproquement. Dieu devient ainsi, qu'on le veuille ou pas, l'ennemi de l'homme.
Fracture en l'homme. Le sujet solitaire et volontaire s’impose comme la figure du bien-vivre. Tout ce qu'il méconnaît passera dans l'autre côté, contestataire, de la modernité : l’affectif, le sauvage, la passion, le désir !
Du côté catholique, comment aurait-on évité d'être contaminé par tout ça ? L'effet, chez beaucoup de gens, c'est ce que j'appellerai le malheur de la grâce. La grâce est grâce
.en Dieu. Mais en l’homme, elle est devoir, supplément de devoir. Quand on a tout fait bien, il n’est point temps de se reposer. Il y a encore deux choses à faire : reconnaître que c’est Dieu qui a tout fait et pas nous, et lui rendre grâce d’avoir tout fait.
La grâce n’est pas grâce en l’homme. Sinon, elle aurait quelque chose de gracieux, de gratuit, un air de légèreté, de jubilation, de profond laisser-aller à cette vie venant de plus puissant que nous et qui veut chanter en nous. Elle serait comme l’inspiration du poète ou du musicien, avec ses imprévisibles retraits et ses joies imprévues.
Épreuve, sans doute, épreuve plus dure qu'aucune épreuve volontaire – car dans le désert on est démis de soi-même – mais jusque dans l'épreuve une force de fécondité auprès de laquelle tous les labeurs de la perfection pâlissent. Je crois que l’homme aujourd'hui aurait assez faim d'une telle grâce.


3. Soyez parfaits

Il est écrit: «Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »
Et où est donc sa perfection ? De faire pleuvoir la pluie sur les bons et sur les méchants et de faire lever le soleil sur les justes et sur les injustes. «Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés. » Prodigieux chemin court ! Ainsi me suffirait-il de ne pas juger mon frère pour que tout le mauvais en moi échappe au jugement ? Pour que je puisse passer à côté du tribunal ? Prodigieux, vraiment ! Certes, quiconque s'essaie à réellement à ne pas juger verra que ça le mène assez loin. Mais tout de même, quelle liberté, quelle paix ! Tout ce qui me perd et me condamne et m'attriste et m'apeure, tout fond en moi dès que je donne à l'autre mon prochain sa place d'exister, la chance de sa parole, le chemin ouvert, l'espérance d'être sauf.
La perfection est fruit, comme j'ai dit. Non point conformité à l’image, mais fruit. C'est pourquoi, méfions-nous de prétendre ou même vouloir imiter Jésus Christ ! Gardons-nous d'en faire l’image accablante ! L'heureux Zachée donne la moitié de ses biens, le possédé délivré retourne chez les siens – alors qu'il demandait à suivre Jésus –, Marie gardera la meilleure part. A chacun sa grâce. A chacun son chemin : vois ce qui t'est possible et fais-le. Dès que tu es tourné vers Lui, même si tu trébuches et t'égares dans la montagne, tu dois savoir que la seule vraie tentation est : désespoir. Pour le reste, à chaque jour suffit sa peine.

Le fruit est amour. L’amour juge tout et n’est jugé par rien. L’amour est commandement, mais ce commandement est le don même qui nous est fait ; c’est pourquoi accomplir ce commandement n’est point nous régler sur la loi contraignante, mais laisser monter en nous la bonne puissance qui ne veut que donner son fruit. A chacun sa puissance. Sans doute, l’amour en nous est mêlé, mêlé de tristesse et de meurtre. Mais pour le rendre pur, nous n'avons d'autre arme et d'autre instrument que l'amour même. C'est pourquoi l'amour est l’épreuve de l'amour.
Dieu est ami de l'homme. Tâchons de ne pas l’oublier quand nous prétendons le servir.



Maurice BELLET



NOTES
(1) C'est au point que même l'enfer, l’enfer des théologiens, ce n'est pas que l’amour de Dieu cesse, c'est seulement qu'il est refusé.
(2) Et (bien entendu), comment puis-je moi-même... ?

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COMMENT EST-CE POSSIBLE ?
Le Dieu chrétien n'est-il pas le Dieu d'amour ? Que lui est-il arrivé ?
On l'a changé peut-être en moraliste sec, qui ne connaît que le devoir; ou, du Dieu de chair, présent dans Jésus, on a fait le Dieu froid et vide du déisme.
Cela arrive, en effet. Mais cela ne suffit point à expliquer l'apparition, dans le champ chrétien, du monstre inimaginable : car c'est bien quand il est « amour » qu'il est le pire. Écoutons.
Dieu est amour: il donne tout, il pardonne tout, il se donne lui-même jusqu'à mourir pour nous, en son Fils, sur la croix. Sa grâce inépuisable nous fait entrer dans la vraie vie, joie, liberté, amour.
Seule condition : croire et l'aimer. Et comment ne l'aimerions-nous pas comme il nous aime ? La vraie vie, c'est de lui donner tout et porter notre croix. Et, puisque « Dieu aime celui qui donne avec joie », nous traduirons l'échec en bonheur, nous offrirons à l'Amour la maladie, la solitude, la dépression, la vie ratée. « Tout est grâce ».
Dieu aime tant qu'il exige tout, veut pour lui seul tout notre désir, détruit tout ce qui eût fait notre joie trop humaine.
A quiconque voudrait échapper à son amour implacable, Dieu oppose la menace terrifiante de la perte absolue, éternelle. Celui qui ne vit pas pour Dieu ne doit plus être que faute et tristesse. Ainsi, dès que nous osons vivre pour nous notre propre vie, Dieu n'est plus que ressentiment. Et comme ce désir en nous est trop fort pour s'effacer devant l'Amour, aimer Dieu c'est se haïr, c'est vouloir la mort, vouloir le néant (comme disait Nietzsche).

Mais alors... il ne nous aime pas du tout ! Car nous, « si méchants que nous soyons » (comme dit l'évangile), nous sommes tout de même capables d'aimer plus généreusement.
Découverte terrible : le Dieu bon n'est pas bon, mais cruel. Despote arbitraire, père indigne, surveillant mesquin et odieux, sadique avide de notre douleur : accablante litanie.
Découverte interdite; car c'est là ce qu'il ne faut pas dire, ni murmurer, ni se dire à soi-même. Ce blasphème serait la faute irréparable qui nous ferait perdre l'amour de Dieu, c'est-à-dire perdre tout.
Si donc il est cruel, c'est encore, nécessairement, de ma faute. C'est que je suis si mauvais que je n'arrive pas à ne pas le haïr. Il n'est pour moi ce monstre que parce que je suis moi-même un monstre. Je suis coupable à fond, coupable d'exister. Ma faute, c'est d'être né.
Il ne me reste, pour justifier Dieu, qu'à me haïr moi-même enfin sans réserve, c'est-à-dire à me damner. Que je me fasse enfer, puisque je ne sais vivre son amour que comme ma perte. Le seul chemin qui me reste est de m'emmurer dans cette folie.
Impossible de lui échapper. Devant la froide Nécessité, dignité et résignation. Devant Moloch le dévorant, payer le prix ou se révolter. Mais devant le feu de l'Amour ? Rien d'autre que vivre intensément la contre-vie, désirer à contre-désir, naître à la contre-naissance.
Là se noue le désespoir absolu.
Si, enfin, le nœud se défait, explosion de fin du monde. Le Dieu d'amour n'était pas seulement cruel, mais pervers.

Le Dieu pervers, Desclée de Brouwer, 1998, pp.16-17
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Marc Oraison

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Marc Oraison, né à Ambarès en 1914 et mort en 1979, est un médecin et prêtre catholique français, auteur de nombreux ouvrages sur la morale quotidienne et notamment la morale sexuelle.
Biographie [modifier]


Ancien interne des hôpitaux de Bordeaux, Marc Oraison s'inscrit à l'Institut catholique de Paris, où il obtient en 1951 une thèse de doctorat en théologie. Après son ordination, il écrit une vingtaine de livres sur la psychologie et l'éthique individuelle. Sur la morale sexuelle, il se démarque de la position officielle de l'Eglise et approuve la contraception : il rappelle notamment que l'encyclique de Paul VI, Humanae Vitae , n'engageait pas le dogme de l'infaillibilité pontificale. Il publie également des recueils d'entretiens avec différents interlocuteurs tels que Georges Hahn, Jacques de Bourbon Busset, Marc de Smedt ou Jean-Claude Barreau.
Œuvres [modifier]



  • Tête dure, Seuil 1969
  • La Mort et puis après ?, LGF, 1972
  • La Question homosexuelle, Seuil, 1975
  • Le Mystère humain de la sexualité, Seuil, 1972
  • Psychologie et sens du péché, Cerf
  • Savoir aimer, LGF, 1975
  • Une morale pour notre temps, Seuil, 1970
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Jean-Marie Petitclerc

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Jean-Marie Petitclerc est un prêtre catholique salésien, polytechnicien, éducateur spécialisé, expert des questions d'éducation dans les zones sensibles, et écrivain ; il est né le 2 février 1953 à Thiberville (France).
Dans À la rencontre des jeunes... au puits de la Samaritaine (2007), il confie trois clés de compréhension de ses écrits et, peut-être, de son ministère. Ce qu'il appelle ses « sources d'inspiration » : son expérience pastorale elle-même, celle d'éducateur et de prêtre ; Jean Bosco, qu'il qualifie d'initiateur de la démarche du "aller vers", par opposition à celle du "faire venir" et Guy Lafon, qu'il a eu comme professeur à l'Institut catholique de Paris et qu'il affirme être son initiateur à la lecture et à l'interprétation des textes bibliques[1].

Sommaire

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Biographie [modifier]


Élevé dans une famille de médecins en Normandie, il étudie au Lycée Privé Sainte-Geneviève puis intègre l'École polytechnique en 1971. À sa sortie en 1974, il hésite entre engagement religieux et politique. Très sportif, il est hospitalisé à cause d'une pratique trop intensive de l’athlétisme. Cloué sur un lit d'hôpital pendant 18 mois, il renonce à la politique. Par hasard, il tombe sur une biographie de Giovanni Bosco, fondateur des Salésiens. Cette période de réflexion lui permet de choisir une nouvelle voie, celle tracée par ce dernier. Devenu prêtre salésien, il suit une formation d'éducateur spécialisé et fonde un club de prévention spécialisée à Chanteloup-les-Vignes. Il dirige ensuite un foyer d'action éducative « habilité justice » qui accueille des mineurs confiés par des magistrats. Il est rappelé à Chanteloup-les-Vignes au moment des émeutes urbaines de 1991 et initie la « médiation sociale ».
Fondateur et directeur de l'association Le Valdocco à Argenteuil, directeur de l'Institut de Formation aux Métiers de la Ville à Argenteuil, il devient chargé de mission au Conseil général des Yvelines. En septembre 2004, il rejoint Tassin-la-Demi-Lune, à l'ouest de Lyon, où il monte une antenne du Valdocco et reprend un atelier de réinsertion, ARPPE, devenue ACIRPE en 2007. Très impliqué dans le scoutisme, il est aumônier de groupes Scouts et Guides de France à Tassin-la-Demi-Lune et à Lyon.
Connu pour ses nombreuses conférences et ses ouvrages, sur le thème de l'éducation et des actions de prévention. Il est membre du comité de parrainage de la Coordination française pour la Décennie de la culture de paix et de non-violence. Il a créé de nombreux mouvements et associations, notamment Teamville et Campobosco.
En juin 2007, il est nommé chargé de mission au cabinet de Christine Boutin, ministre du Logement et de la Ville, responsable de la coordination des acteurs locaux[2], poste qu'il quitte début février 2009, pour se consacrer pleinement à la direction de l'association Le Valdocco, et notamment à Laurenfance, le foyer pour jeunes en difficulté ouvert à Tassin la Demi-Lune par l'association[3].
Depuis septembre 2009, et à titre provisoire, il est le supérieur de la communauté salésienne de l'Institution Notre-Dame des Minimes, établissement scolaire privé lyonnais. Il est également le supérieur de la communauté salésienne "Dominique Savio" de Tassin-la-Demi-Lune, et ce depuis 2004.
Ouvrages publiés [modifier]




  • Éduquer aujourd'hui pour demain : quels repères pour une pratique chrétienne de l'éducation ?, Mulhouse, Salvator, 1988 (ISBN 2-7067-0109-9)
  • Cette prévention dite spécialisée, Paris, Fleurus, 1988 (ISBN 2-215-01091-6), avec Victor Girard et Jean Royer
  • Respecter l'enfant : réflexion sur les droits de l'enfant, Mulhouse, Salvator, 1989 (ISBN 2-7067-0153-6)
  • Le pari éducatif : conflit, handicap, maladie, Paris, Centurion, 1991 (ISBN 2-227-20218-1), avec José Davin
  • Dire Dieu aux jeunes d'aujourd'hui, Caen, éd. Don Bosco, 1994 (ISBN 2-9062-9553-1)
  • La banlieue de l'espoir, Paris, éd. Don Bosco, 1995 (ISBN 2-906295-61-2)
  • Dire Dieu aux jeunes, Mulhouse, Salvator, 1996 (ISBN 2-7067-0169-2)
  • Le jeune, l'éducateur et la loi, Paris, éd. Don Bosco, 1998 (ISBN 2-9062-9576-0)
  • La violence et les jeunes, Paris, Salvator, 1999 (ISBN 2-7067-0213-3)
  • Les nouvelles délinquances des jeunes : violences urbaines et réponses éducatives, Paris, Dunod, 2001 (ISBN 2-10-004681-0)
  • Le Valdocco d'Argenteuil, Paris, éd. Don Bosco, 2001 (ISBN 2-9062-9593-0)
  • L'IFMV Valdocco, Institut de formation aux métiers de la ville, Paris, éd. Don Bosco, 2001 (ISBN 2-914547-00-5)
  • Pratiquer la médiation sociale : Un nouveau métier de la ville au service du lien social, Paris, Dunod, 2002 (ISBN 2-10-004817-1)


  • Et si on parlait de la violence ?, Paris, Presses de la Renaissance, 2002 (ISBN 2-85616-854-X)
  • Y'a plus d'autorité, Ramonville-Saint-Agne, Erès éd., 2003 (ISBN 2-7492-0214-0)
  • Spiritualité de l'éducation : Lecture éducative de pages évangéliques, Paris, éd. Don Bosco, 2003 (ISBN 2-914547-13-7)
  • Et si on parlait du suicide des jeunes, Paris, Presses de la Renaissance, 2004 (ISBN 2-7509-0048-4 )
  • Enfermer ou éduquer ? : les jeunes et la violence, Paris, Dunod, 2004 (ISBN 2-10-007379-6)
  • Mon combat contre la violence : entretiens avec Yves de Gentil-Baichis , Paris, Bayard, 2005 (ISBN 2-227-47396-7)
  • Éducation non violente, Saint-Maurice (Suisse), édition Saint-Augustin, 2005 (ISBN 2-88011-384-9)
  • Tu peux changer le monde ! , Paris, Salvator, 2006 (préface rédigée par Jean-Marie Petitclerc; auteurs : Charles Delhez, Nadine Monsée-Deglin, Bernadette Wiame, et al.) (ISBN 2-7067-0416-0)
  • Accompagner un jeune blessé : sur le chemin d'Emmaüs, Nouan-le-Fuzelier, éd. des Béatitudes, 2006 (ISBN 2-84024-257-5)
  • Chemin de croix, Paris, Salvator, 2007 (ISBN 978-2-7067-0472-7)
  • Prières glanées, Namur/Paris, Fidélité, 2007 (ISBN 978-2-87356-366-0)
  • À la rencontre des jeunes ... au puits de la Samaritaine, Paris, Salvator, 2007 (ISBN 978-2-7067-0522-9)
  • Lettre ouverte à ceux qui veulent changer l'école, Paris, Bayard, 2007 (ISBN 978-2-227-47651-6)
  • Pour en finir avec les ghettos urbains, Paris, Salvator, 2009 (ISBN 978-2-7067-0650-9)
  • Pourquoi je suis devenu ... prêtre et éducateur, Montrouge, Bayard, 2009 (ISBN 978-2-227-47901-2), propos recueillis par Pierrette Rieublandou
Références [modifier]



  1. A la rencontre des jeunes, Salvator, 2007, pages 12-18. Concernant Guy Lafon en particulier, il écrit : «Troisième source d'inspiration, les clefs de lecture que m'a transmises le Père Guy Lafon, l'un de mes professeurs à l'Institut catholique de Paris, où je préparais ma licence de théologie. (...) Je ne saurai jamais assez lui rendre hommage pour tout ce qu'il m'a appris » (pages 17-18)
  2. "Christine Boutin, ministre du logement et de la ville, n’a pas hésité à appeler à ses côtés le Père Jean-Marie Petitclerc, acteur social reconnu à Argenteuil (Val-d’Oise) et à Lyon, où il continue de diriger une association d’aide aux jeunes en difficulté. « Il a été recruté pour ses compétences, souligne l’entourage de la ministre. Il se trouve qu’il est prêtre, il n’est pas pour autant l’aumônier du ministère ! ». Proche de personnalités de gauche, le nouveau chargé de mission pour les relations avec les acteurs locaux « se réjouit d’appartenir à un pays où les convictions religieuses n’empêchent pas d’exercer un certain nombre de responsabilités », rapporte La Croix du 25 juin". (Le Monde, jeudi 5 juillet 2007)
  3. Le conservatisme de notre pays me désole [archive] sur la-croix.com, 22 décembre 2008. Consulté le 15 novembre 2009
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Stan Rougier

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

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Cet article est une ébauche concernant un écrivain français.
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Biographie [modifier]


Stan Rougier est né en 1930 à Jurançon (Pyrénées-Atlantiques), dans la banlieue sud-ouest de Pau, dans le Béarn.
Il passe sa jeunesse dans le Pays basque et en Auvergne, et pratique le scoutisme.
D'abord éducateur, puis infirmier, il est ordonné prêtre catholique en 1960, à l'âge de 30 ans. Il est alors aumonier de lycéens et d'étudiants. Prêtre du diocèse d'Evry-Corbeil, il est chroniqueur de plusieurs journaux et revues - notamment le journal La Croix, prédicateur à la radio (France-Culture) et à l'émission de télévision Le Jour du Seigneur
Il donne des conférences, anime des retraites et des rencontres dans divers pays.


Publications [modifier]


Écrivain prolifique, il a publié de nombreux ouvrages :

  • L'avenir est à la tendresse, Éditions Salvator, 1978 ISBN 2-204-04225-0
  • La Révolte de l'Esprit, en collaboration avec Olivier Clément, de religion Orthodoxe, Éditions Stock
  • Comme une flûte de roseau, Éditions du Centurion 1982
  • François d'Assise, troubadour et prophète, Editions Salvator, 1984
  • L'ombre obéit au soleil, Editions Salvator 1985
  • Jésus, ( pour les 10-13 ans), Éditions du Cerf
  • Aime et tu vivras, Éditions Cana 1985
  • Puisque l'amour vient de Dieu, Éditions Desclée de Brouwer, 1988, réédité en 2007
  • Clins Dieu, Editions Salvator, 1989
  • Prêtres de la Mission de France, Centurion, 1991
  • Accroche ta vie à une étoile, Albin Michel, 1993, 1996
  • Nomade de l'Eternel, Stock, 1994
  • Montre moi ton visage, Desclée de Brouwer, 1995
  • Quand l'amour se fait homme, Desclée de Brouwer, 1997
  • Dieu était là, et je ne le savais pas, autobiographie spirituelle, 1er tome, Presses de la Renaissance,1998
  • Dieu écrit droit avec des lignes courbes, autobiographie spirituelle, second tome, Presses de la Renaissance, 1999
  • Vos fils et vos filles seront prophètes, Editions Bayard, 2000
  • Les rendez-vous de Dieu, Presses de la Renaissance, 2000
  • Quête du sens, collectif, Albin Michel, 2000, réed. 2004. Avecla participation de Roland Rech, Lama Puntso, Swâmi Saraswati, Jean-Paul Guetny, Cheikh Khaled Bentounès, Richard Moss, Marie de Hennezel, Christiane Singer.
  • Le Grand Livre de la tendresse, collectif, Albin Michel, 2002. Patrice van Eersel (Nous sommes notre propre instrument de tendresse), Jacques Salomé et Gérald Pagès (Tendresse dans les cycles de la vie), Dr Christophe Massin, Pr Jean-Pierre Relier et Dr Hugues Reynes (Tendresse dans l'enfantement), Dr Suzanne Robert-Ouvray et Dr Boris Cyrulnik (Tendresse dans l'éducation), Christiane Singer, Guy Corneau, Paule Salomon, Dr Gérard Leleu (Tendresse en amour), Alain Delourme, Dr Odile Ouachée, Dr Jean-Pierre Klein et Luc Boulanger (Tendresse entre soignants et soignés), Stan Rougier et Alain Mamou-Mani (Tendresse dans la spiritualité), Dr Michèle Salamagne et Marie de Hennezel (Tendresse jusqu'au dernier souffle)]
  • Au commencement était l'amour, Presses de la Renaissance, 2003
  • L'amour comme un défi, Éditions du Relié, 2004 ; réed. Albin Michel, 2006
  • Pourquoi je l'ai suivi, entretiens avec Nathalie Calmé, Desclée de Brouwer.
  • Innocence et culpabilité, collectif, Albin Michel, 2007. Avec Jean-Yves Leloup, Philippe Naquet, Paul Ricoeur, Marie de Solemne
  • Saint François d'Assise, Albin Michel, 2009

Lien externe [modifier]


www.stanrougier.com [1]
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Sœur Emmanuelle

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Nom de naissanceNaissanceDécèsNationalitéProfession(s)FormationDistinctions
Sœur Emmanuelle
Foi, religion, croyances ... - Page 6 250px-SoeurEmmanuelle


Madeleine Cinquin
16 novembre 1908
Bruxelles, Foi, religion, croyances ... - Page 6 20px-Flag_of_Belgium_%28civil%29.svg Belgique
20 octobre 2008 (99 ans)
Callian, Foi, religion, croyances ... - Page 6 20px-Flag_of_France.svg France
Belge et française ; égyptienne depuis 1991
Enseignante,
Religieuse catholique
Humanitaire
Université Paris IV-Sorbonne
Grand officier
de la Légion d'honneur

Sœur Emmanuelle, née Madeleine Cinquin le 16 novembre 1908 à Bruxelles (Belgique) et morte le 20 octobre 2008 à Callian (Var, France), souvent surnommée la « petite sœur des chiffonniers » ou « petite sœur des pauvres », est une enseignante, religieuse et écrivain.
Elle est connue pour ses œuvres caritatives en Égypte auprès des enfants et des plus démunis et est un symbole, dans l'opinion française, de la cause des déshérités[1]. Née d'une mère belge et d'un père français, elle possède ces deux nationalités. En 1991, le président Moubarak lui a accordé la nationalité égyptienne en remerciement de son œuvre au Caire[2].
À son entrée chez les religieuses de Notre-Dame de Sion, elle prend le nom de Sœur Emmanuelle mais se fait appeler Mère Emmanuelle par ses élèves. C'est sous ce nom qu'elle se fait connaître des médias et devient très populaire dans l'opinion publique, apparaissant régulièrement en tête des classements des personnalités préférées des Français.

Sommaire

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Biographie [modifier]


Jeunesse [modifier]


Madeleine Cinquin est née le 16 novembre 1908 à Bruxelles d'un père français, originaire de Calais, et d'une mère belge, bruxelloise[3]. Elle a des origines juives alsaciennes[4] par sa grand-mère, née d’un père juif du nom de Dreyfus et d’une mère chrétienne au début du XVIIIe siècle.
Elle grandit dans une famille aisée de trois enfants ayant fait fortune dans la lingerie fine[5] et partage ses jeunes années entre Paris, Londres et Bruxelles. En 1914, alors qu'elle n'a que six ans, elle est fortement marquée par le décès accidentel de son père, noyé sous ses yeux à Ostende le 6 septembre. Elle était sur la plage et l'a vu nager au loin puis disparaître dans la mer houleuse. Cette expérience la traumatise profondément et la fait se rapprocher de Dieu. Elle déclare que, dans son inconscient, sa vocation de religieuse date de cet accident[4].
Quelques années plus tard, Madeleine Cinquin souhaite aller à l'université catholique de Louvain mais sa mère s'y oppose car elle estime qu'elle y serait trop oisive. Elle remarque alors que sa fille se tourne vers le Christ et tente de l'en détourner en lui faisant rencontrer la supérieure du couvent de Notre-Dame de Sion à Londres. Ceci ne fait que renforcer ses convictions et accentue la quête de toute sa vie, l'aide à l'enfance malheureuse. Après avoir voulu initialement rejoindre les Filles de la Charité, Madeleine entre finalement comme postulante à la congrégation de Notre-Dame de Sion le 6 mai 1929. Après des études de sciences philosophiques et religieuses, elle prononce ses vœux de religieuse le 10 mai 1931 et choisit le nom de Sœur Emmanuelle, qui signifie « Dieu avec nous » en hébreu[3].
Enseignement [modifier]


La carrière d'enseignante de sœur Emmanuelle commence tout d'abord à Istanbul en Turquie, dans une école pour jeunes filles d'un quartier pauvre de la ville. Sœur Emmanuelle attrape alors la typhoïde et toutes les autres sœurs lui proposent leur sang afin de l'aider à combattre la maladie. Une fois rétablie, en guise de remerciement, sœur Emmanuelle donne une conférence sur la vie de Soliman le Magnifique et impressionne la directrice du collège, Mère Elvira, qui décide alors de l'affecter dans son établissement. Bien que celle-ci se soit engagée à envoyer Sœur Emmanuelle au service des pauvres, elle la convainc qu'elle sera plus efficace si elle enseigne à des jeunes filles aisées, appelées à avoir un rôle influent dans la vie turque[6]. Elle enseigne alors les lettres au Lycée Notre-Dame de Sion. Après la mort de sa supérieure, Sœur Emmanuelle ne s'entend pas avec sa remplaçante et elle est envoyée à Tunis[3].
De 1954 à 1959, elle enseigne en Tunisie pendant cinq ans où elle s'occupe de filles de Français installés dans le pays[4] mais ce nouveau poste ne lui convient pas. En pleine décolonisation du pays, les filles dont elle a la charge lui semblent plus superficielles et l'environnement général la fait doucement sombrer dans une dépression. Ce n'est qu'au bout de trois ans que les responsables de Sion se rendent compte de son état et se décident à la déplacer[3].
Après avoir décroché sa licence ès lettres à la Sorbonne à Paris, Sœur Emmanuelle est de nouveau affectée à Istanbul en 1959 pour une courte durée[3].
De 1964 à 1971, elle est envoyée en Égypte pour enseigner au collège de Sion à Alexandrie. Cette expérience s'avère de nouveau négative pour elle car les élèves dont elle est en charge sont peu ouverts sur la pauvreté. Elle décide donc d'arrêter d'enseigner la philosophie et s'occupe à la place des filles du quartier défavorisé de Bacos. C'est durant cet épisode qu'elle tombe amoureuse de l'Égypte[3].
Engagement auprès des chiffonniers du Caire [modifier]


En 1971, à l'âge de la retraite, elle décide de partir, à l'instar du Père Damien qu'elle vénère[3], s'occuper des lépreux au Caire mais doit renoncer face à des complications administratives car le lazaret se trouve en zone militarisée[4]. Elle décide alors de partager la vie des plus démunis et, avec l'autorisation de sa congrégation, part s'installer à Ezbet-El-Nakhl, un des bidonvilles les plus pauvres du Caire en Égypte, au sein de la communauté majoritairement copte chrétienne des zabbalines, chargée de la récupération des déchets[4]. En collaborant avec plusieurs églises locales, elle parvient à établir une communauté et lance de nombreux projets de santé, d'éducation et de protection sociale visant à améliorer les conditions de vie[7].
En 1976, elle rencontre Sarah Ayoub Ghattas (Sœur Sarah), alors supérieure de la congrégation copte-orthodoxe des Filles de Marie de Béni-Souef. Francophone et issue d'une famille de la bourgeoisie, elle obtient l'autorisation de l'évêque Athanasios, fondateur de la congrégation, pour rejoindre Sœur Emmanuelle à Ezbet-Al-Nakhl dont elle partage la cabane. En 1977, Sœur Emmanuelle publie son premier livre Chiffonnière avec les chiffonniers dans lequel elle raconte son combat. En compagnie de Sœur Sarah, elle part en 1978 aux États-Unis afin de récolter des fonds. À leur retour, avec l'argent amassé, elles peuvent investir et en 1980, le Centre Salam est inauguré par l'épouse du président Sadate et propose des dispensaires, des écoles, des jardins d'enfants, des centres de formation et un club social[8].
En 1982, après avoir confié la gestion d'Ezbet-Al-Nakhl à des jeunes religieuses de l'ordre des filles de Sainte-Marie, elle s'occupe des chiffonniers de Mokattam représentant, avec plus de 23 000 personnes vivant au milieu des détritus, la plus grande communauté de zabbalines du Caire[8]. En 1984, Sœur Emmanuelle vient en aide à cinq familles pauvres et leur permet à chacune de se construire un abri, séparé du lieu où sont triés les déchets. Elle fera plus tard construire ce même type d'abris à plus grande échelle afin d'accueillir le plus de monde possible[7]. Elle continue à utiliser son charisme afin de récolter des dons et mobiliser les pouvoirs. Elle permet de raccorder le bidonville à l'eau et l'électricité et poursuit la construction de nombreuses habitations et d'une usine de compost[8]. En 1985, elle s'installe dans le bidonville de Meadi Tora puis se rend à Khartoum (Soudan) la même année pour créer des foyers, écoles, fermes-écoles et dispensaires.
En 1991, à l'occasion de la célébration des « noces de diamant » de sa vie religieuse, le président Moubarak lui remet la nationalité égyptienne en reconnaissance de son œuvre en Égypte[9]. En 1993, à la demande de sa congrégation, Sœur Emmanuelle quitte définitivement l'Égypte et rejoint sa communauté en France. Sœur Sarah dirige alors l'entreprise caritative et continue seule le développement du bidonville de Mokattam. Depuis, un lycée pour filles a été créé grâce à l'opération Orange et des écoles techniques ont été ouvertes pour les garçons. Un hôpital a même été construit grâce au prince Albert de Monaco. En 22 années de présence, l'œuvre de Sœur Emmanuelle a permis de scolariser 85 % des enfants, de faire diminuer la violence et de permettre aux femmes de se libérer[8].
Retraite [modifier]


À son retour en France, Sœur Emmanuelle continue de se battre pour plus de solidarité. Elle écrit des livres, notamment avec sa nièce[10] Sofia Stril-River, rencontre des jeunes dans les lycées et les écoles, s'occupe également de l'association Les Amis de Paola à Fréjus en aide aux SDF et donne des conférences aux côtés de son association pour sensibiliser le public à l'engagement solidaire.
Parallèlement, Sœur Emmanuelle continue à donner « un souffle » à son association. Elle lui transmet ses principes d'actions qui sont chaque jour mis en pratique sur le terrain. « éduquer un homme c'est éduquer un individu, éduquer une femme, c'est éduquer un peuple ».
En 1995, avec Geneviève de Gaulle-Anthonioz, elle est à l'origine de l'orientation de la campagne présidentielle de Jacques Chirac sur le thème de la fracture et de l'exclusion sociale[11].
Le 1er janvier 2002, Sœur Emmanuelle est promue par Jacques Chirac au grade de commandeur de la Légion d'honneur avant d'être élevée, par Nicolas Sarkozy, le 31 janvier 2008 grand officier de la Légion d'honneur. En Belgique elle devint en 2005 grand officier dans l'Ordre de la Couronne[12]. Elle joint le comité d'honneur de Philanthropos, institut d'études anthropologiques fondé en 2003 par le père Nicolas Buttet.
Depuis 1993, elle vivait à la Maison de repos des religieuses de Notre-Dame de Sion à Callian dans le département du Var, où elle est décédée le 20 octobre 2008 à l'âge de 99 ans. Elle a été inhumée dans la plus stricte intimité, selon ses propres volontés, le 22 octobre 2008 au cimetière de Callian. Le même jour a eu lieu à Paris en la cathédrale Notre-Dame une messe requiem pour lui rendre un hommage collectif. Le lendemain, le 23 octobre 2008 avait lieu à Bruxelles en la cathédrale Saints-Michel-et-Gudule une messe commémorative. Les textes et les chants avaient été choisis par Sœur Emmanuelle elle-même quelques mois plus tôt pour ce qui aurait dû être normalement une messe à l'occasion de son centenaire. Le roi Albert II de Belgique ainsi que le prince Laurent et la princesse Claire ont assisté à la cérémonie. Les chants y ont été interprétés par une jeune chorale belge (la Schola). Plusieurs membres de cette chorale font partie de l'association belge « Les Amis de Sœur Emmanuelle ».
Les Mémoires de Sœur Emmanuelle paraissent dans le livre « Confessions d'une religieuse » le 23 octobre 2008, rédigés depuis près de vingt ans et publié après sa mort, selon ses dernières volontés[13].
Sœur Emmanuelle aurait fêté ses 100 ans le 16 novembre 2008.
Association et fondation [modifier]


Afin de poursuivre son œuvre à plus grande échelle, Sœur Emmanuelle a fondé l'association « Les Amis de Sœur Emmanuelle » (ASMAE) et à l'initiative des Amis de Sœur Emmanuelle Belge (ASBL) a été créée la « Fondation Sœur Emmanuelle ».
Les Amis de Sœur Emmanuelle [modifier]

Article détaillé : ASMAE - Association Sœur Emmanuelle.

Afin de la soutenir dans son œuvre, de développer des actions humanitaires en Égypte et dans d'autres pays comme le Sénégal, le Liban, le Soudan, etc. et d'assurer sa relève, Sœur Emmanuelle a fondé deux associations, Les Amis de sœur Emmanuelle en 1980 et ASMAE en 1985, qui ont fusionné en 1987.
Fondation Sœur Emmanuelle [modifier]

Article détaillé : Fondation Sœur Emmanuelle.

Fondation créée en 1993 à l'initiative des Amis de Sœur Emmanuelle, de l'université catholique de Louvain et de la Katholieke Universiteit Leuven. Un prix est donné tous les deux ans à une œuvre qui va dans le sens de l'action de Sœur Emmanuelle en faveur des femmes, des enfants et des plus défavorisés.
Le prochain prix sera décerné le 15 septembre 2010[14].
Engagement humanitaire et popularité [modifier]


Sœur Emmanuelle était une personnalité très aimée de l'opinion publique en raison de son engagement humanitaire, de sa personnalité, de son caractère exubérant et de son franc-parler, souvent en contraste avec le ton employé par l'Église ou la simplicité d'autres religieux comme l'Abbé Pierre ou Mère Teresa qui s'étaient eux aussi engagés en faveur de plus pauvres et bénéficiaient d'un fort soutien populaire.
Elle était très médiatisée depuis son passage en 1990 à l'émission La Marche du siècle de Jean-Marie Cavada[15] et s'était construite une image caractéristique avec sa blouse, son fichu, ses baskets et son habitude de tutoyer sans distinction hommes politiques et journalistes.
Œuvres [modifier]


Œuvres écrites par Sœur Emmanuelle [modifier]



  • Sœur Emmanuelle (préface de Jean-Marie Cavada), Chiffonnière avec les chiffonniers, Éditions de l'Atelier, 1989 et 2007 (ISBN 978-2708239005)
  • Sœur Emmanuelle, Une vie avec les pauvres, Éditions de l'Atelier, 1991 (ISBN 978-2708228979)
  • Sœur Emmanuelle, Yalla, en avant les jeunes, LGF - Livre de Poche, 1999 (ISBN 9782253145677)
  • Sœur Emmanuelle, Un pauvre a crié, le Seigneur l'écoute, Emmanuel, 2005 (ISBN 978-2915313505)
  • Sœur Emmanuelle, Les Mots du Rosaire, Actes Sud, 2001 (ISBN 978-2742734429)
  • Sœur Emmanuelle, Agenda 2009. Une année avec Sœur Emmanuelle, Presses de la Renaissance, 21 août 2008 (ISBN 978-2750904364)
  • Sœur Emmanuelle, 365 Méditations de Sœur Emmanuelle, Presses de la Renaissance, 9 octobre 2008 (ISBN 978-2750904357)
  • Sœur Emmanuelle, Je Te Salue Marie, Elytis, 15 octobre 2008 (ISBN 978-2356390073)
  • Sœur Emmanuelle, Les Confessions d'une religieuse, Flammarion, 23 octobre 2008 (ISBN 978-2082125192)


Œuvres en collaboration avec Sœur Emmanuelle [modifier]



  • Matthieu Ricard (préface de Sœur Emmanuelle), Enfants du Tibet : De cœur à cœur avec Jetsun Pema et Sœur Emmanuelle, Desclée de Brouwer, 2000 (ISBN 978-2220048109)
  • Edmond Blattschen, L'Évangile des chiffonniers, Alice, 2000 (ISBN 978-2930182308)
  • Philippe Asso, Richesse de la pauvreté, Flammarion, 2001 (ISBN 9782082100540)
  • Marlène Tuininga, Jésus tel que je le connais, J'ai lu, 2003 (ISBN 9782290328736)
  • Philippe Asso, Vivre, à quoi ça sert ?, Flammarion, 2004 (ISBN 9782082103411)
  • Marlène Tuininga, Le Paradis, c'est les autres, J'ai lu, 2004 (ISBN 9782290343159)
  • Sœur Emmanuelle, La Folie d'Amour. Entretiens avec Sœur Emmanuelle, Flammarion, 2005 (ISBN 978-2082105286)
  • Jacques Duquesne, Annabelle Cayrol, J'ai 100 ans et je voudrai vous dire…, Plon, 20 août 2008 (ISBN 978-2259209212)
  • Sofia Stril-Rever, Mon Testament Spirituel:De Sœur Emmanuelle, Presses de la Renaissance, 2008 (ISBN 978-2-7509-0489-0)



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L'abbé Pierre avant Emmaüs [modifier]


Henri Grouès est né le 5 août 1912 à Lyon (IVe) dans une famille bourgeoise aisée et pieuse de négociant en soie lyonnais, originaire, du côté paternel, du hameau de Fouillouse à Saint-Paul-sur-Ubaye, et de Tarare dans le Rhône du côté maternel. Il est le cinquième de huit enfants. Il a été baptisé à l'église Saint-Eucher, dans le 4e arrondissement de Lyon. Il passe son enfance à Irigny, une commune au Sud-Ouest de Lyon. À 12 ans, il accompagne son père à la confrérie séculaire des Hospitaliers veilleurs, où les bourgeois se font coiffeurs barbiers pour les pauvres.
Élève à l'externat Saint-Joseph (actuel lycée Saint-Marc), il fit partie des scouts de France, dans lesquels il fut totémisé « Castor Méditatif ». En 1928 à 16 ans, après un « coup de foudre avec Dieu » selon ses propres mots, il veut entrer dans les ordres franciscains, cependant il devra attendre d'avoir 17 ans et demi. À ce sujet il déclara « On me disait beau gosse, peut-être même un peu mondain, pourtant, le lendemain je serai moine. »
Entrée dans les ordres [modifier]


En 1931, il fait profession chez les capucins où il prononce ses vœux. Il renonce cette année-là à sa part du patrimoine familial, et donne tout ce qu’il possède à des œuvres caritatives. En religion, Henri Grouès devient frère Philippe. En 1932, il entre au cloître, au couvent de Crest où il passe sept années d'austérité religieuse.
Le samedi 18 décembre 1937, il est ordonné diacre par Mgr Pic, évêque de Valence (Drôme) dans la chapelle du Grand Séminaire, 75 rue Montplaisir, qui abrite aujourd'hui le Lycée Privé Catholique Montplaisir.
Il est ordonné prêtre le 24 août 1938 en la chapelle du lycée Saint-Marc. En avril 1939, il est nommé vicaire à la Basilique Saint-Joseph de Grenoble.
Seconde Guerre mondiale [modifier]


Il est mobilisé comme sous-officier dans le régiment du train des équipages, en décembre 1939, au début de la Seconde Guerre mondiale.
Selon sa biographie officielle issue des archives officielles du Ministère de la Défense Nationale[2], « vicaire à la Cathédrale Notre-Dame de Grenoble, il recueille des enfants juifs dont les familles ont été arrêtées lors des rafles des Juifs étrangers en zone Sud, en août 1942 »[3].
La même année, il fait passer en Suisse le plus jeune frère du général de Gaulle, Jacques, ainsi que son épouse. Il participe à la création de maquis dont il est un des leaders dans le massif du Vercors et le massif de la Chartreuse. C'est à cette époque qu'il rencontre Lucie Coutaz, qui le cache sous un faux nom, et restera sa secrétaire particulière jusqu'à sa mort en 1983. Elle est considérée comme la cofondatrice du Mouvement Emmaüs.
Il aide les réfractaires au Service du travail obligatoire (STO). Il prend le nom d’abbé Pierre dans la clandestinité. En 1944, il est arrêté par l’armée allemande à Cambo-les-Bains, dans les Pyrénées-Atlantiques, mais est relâché et passe en Espagne puis rejoint via Gibraltar le général de Gaulle à Alger en Algérie[4]. Il devient aumônier de la Marine sur le Jean Bart à Casablanca (Maroc).
Ses actions dans la résistance lui valent la Croix de guerre avec palme à la Libération. De son expérience passée et des drames dont il a été témoin, il doit, comme bien d’autres résistants de tout bord qui l’ont côtoyé, son engagement politique pour restaurer une société digne fondée sur les droits humains fondamentaux, mais aussi sa profonde détermination à agir pour des causes qu’il croit justes, y compris parfois dans l’illégalité, et à mobiliser autour de lui pour faire changer les lois établies et les regards indifférents.
Carrière politique [modifier]


Henri Grouès, dit l'abbé PierreParlementaire françaisDate de naissanceDate de décèsMandatCirconscriptionGroupe parlementaireQuatrième République

5 août 1912
22 janvier 2007
Député 1945-1951
Meurthe-et-Moselle
MRP

Après la guerre, sur les conseils de l’entourage du général de Gaulle, et l’approbation de l’archevêque de Paris, il est élu député de Meurthe-et-Moselle aux deux assemblées nationales constituantes (1945-1946), comme indépendant apparenté au Mouvement républicain populaire (MRP) de résistants démocrates-chrétiens, puis à l’Assemblée nationale de 1946 à 1951, où il siège d’abord au sein du groupe MRP. Sa profession de foi affiche un programme proche du populisme (ni capitaliste, ni collectiviste[5]).
En 1947, il est vice-président de la Confédération mondiale, mouvement fédéraliste universel de promotion de la mondialisation démocratique. Avec Albert Camus et André Gide, il fonde le comité de soutien à Garry Davis, fondateur du mouvement des citoyens du monde, qui s’oppose à la remontée rapide des égoïsmes nationaux et déchire son passeport devant l’ambassade américaine.
Il se désolidarise du parti politique après « l’incident sanglant » de Brest d’avril 1950, ayant provoqué la mort de l’ouvrier Édouard Mazé. Dans sa lettre de démission du 28 avril 1950, Pourquoi je quitte le MRP, il dénonce les positions politiques et sociales du Mouvement. Il rejoint ensuite la Ligue de la jeune République, mouvement chrétien socialiste. Mais, il ne se représentera plus à l’Assemblée à la fin de son mandat : sa courte carrière politique se termine en 1951 et l’abbé Pierre retourne à sa vocation première de prêtre-aumônier et s’investit, avec sa petite rente d’ex-député, dans ses actions caritatives.
Rencontres et actions internationales [modifier]


Rencontres avec les représentants de l'église catholique [modifier]


L’abbé Pierre a rencontré au cours de sa vie les papes Pie XI, Pie XII, Jean XXIII et à plusieurs reprises Jean-Paul II ; trop fatigué pour voyager il n’a pas pu rencontrer directement le nouveau pape Benoît XVI, mais il a noué des contacts épistolaires.
Bien qu’ayant souvent critiqué les positions de l’Église et tenu des propos parfois interprétés comme anticléricaux, l’abbé Pierre ne s’est jamais placé contre l’Église et tenait plus que tout à sa mission pastorale mais non prosélyte ; il respectait sa hiérarchie, à laquelle il reprochait seulement mais ouvertement d’user de trop de faste, et il a conservé sa liberté de ton et d’action ainsi que sa franchise même sur les sujets réputés dérangeants.
Autres rencontres et actions internationales [modifier]


Refusant toute montée en responsabilité au sein de l’Église pour pouvoir se consacrer à ses missions au plus près du peuple, il a su cependant rencontrer les plus grands, et il a rencontré des membres éminents de la communauté scientifique, politique ou religieuse internationale notamment :


Affaire Roger Garaudy [modifier]


En avril 1996, lorsque son ami Roger Garaudy est en procès pour négationnisme suite à la publication de son livre Les mythes fondateurs de la politique israélienne, il lui apporte son soutien, ce qui lui vaudra d’être exclu du comité d’honneur de la LICRA. Dans une lettre de soutien à l'auteur rendue publique le 18 avril 1996, il écrit tout le respect que lui inspire « l'énorme travail » réalisé par Roger Garaudy pour l'écriture du livre, et son « éclatante érudition, rigoureuse ». Il ajoute qu'accuser Roger Garaudy de « révisionnisme » est une « imposture », une « véritable calomnie[21]».
Il expliquera néanmoins par la suite avoir agi « à titre amical[22]» et se démarquera des tentatives pour « nier, banaliser ou falsifier la Shoah » dont il avait été lui-même témoin. Mais, selon les termes du quotidien L'Humanité, « ce revirement tardif ne dissipe cependant pas le malaise. »[23]. L’historien Pierre Vidal-Naquet déclara pour sa part : « Je crains que la prise de position de l’abbé Pierre ouvre les vannes d’une poussée antisémite. »[24]
Certains ont critiqué les propos de l’abbé Pierre sur l’idée de la terre promise dans l’Ancien Testament. En effet, il dénonçait la prise très violente de cette terre par les israélites, telle qu’elle est décrite dans la Bible : « Que reste-t-il d’une promesse lorsque ce qui a été promis, on vient de le prendre en tuant par de véritables génocides des peuples qui y habitaient, paisiblement, avant qu’ils y entrent » dira-t-il à Bernard Kouchner[25] et il n’hésitera pas à en déduire une véritable vocation à l’exil de ce peuple « Je crois que - c’est çà que j’ai au fond de mon cœur - que votre mission a été - ce qui, en fait, s’est accompli partiellement - la diaspora, la dispersion à travers le monde entier pour aller porter la connaissance que vous étiez jusqu’alors les seuls à porter, en dépit de toutes les idolâtries qui vous entouraient. »[25]
Certains ont vu dans ces déclarations une reprise tout juste voilée de l'ancienne thématique chrétienne de l'auto-malédiction d'un peuple juif "avatar de Caïn"[26], (thématique désavouée par l'église à l'occasion de la déclaration "Nostre Aetate" issue de Vatican II [27]) et, finalement, "une lecture de la Bible très conforme à l'antijudaïsme de certains catholiques avant Vatican II"[28],[27].
L'abbé Pierre considère que le débat sur la Shoah reste ouvert : « ils [la LICRA] n’acceptent absolument pas le dialogue, contrairement à Garaudy. Ils considèrent que le débat (sur le génocide des juifs) est clos. Qu’oser le rouvrir n’est pas possible. Par exemple sur la question des chambres à gaz, il est vraisemblable que la totalité de celles projetées par les nazis n’ont pas été construites »[29]., propos auquel l’abbé Pierre ajoute toutefois : « Mais mes amis de la LICRA me disent qu’avancer de telles affirmations, c’est contester la Shoah. Ce n’est pas sérieux »[29]. (Roger Garaudy sera finalement condamné pour contestation de crimes contre l’humanité et incitation à la haine raciale.)
Cette controverse ne doit toutefois pas masquer les faits qui plaident pour l'abbé Pierre, notamment son combat pendant la Seconde Guerre mondiale pour sauver des Juifs[30]. Son engagement profond contre l'antisémitisme est en particulier attesté par le fait qu'il ait lui-même toujours souligné[31] que ses actions contre les persécutions anti-juives avaient précédé et motivé son entrée dans la Résistance. Ses positions politiques sont sans ambiguïtés quand il dénonce le fait que ces rafles anti-juives ont été conduites par la police française en un temps (été 1942) et un lieu (Grenoble, en zone non occupée) qui ne permettent pas d'invoquer le prétexte de la contrainte allemande.
La polémique, qui meurtrira durablement l’abbé Pierre, lui valut le désaveu de certains de ses amis. Bernard Kouchner lui reprocha « d'absoudre l’intolérable [29] »; l'abbé est publiquement fustigé par le Cardinal Jean-Marie Lustiger[28], l'abbé Pierre est alors sommé par sa hiérarchie de prendre une retraite médiatique temporaire [32] et part quelque temps en séminaire en Italie; il y a déclaré au Corriere della Sera que la presse française était " inspirée par un lobby sioniste international "[33]. L'affaire ne reçut cependant que peu d’écho auprès de l'opinion française[34] qui lui renouvela sa confiance pendant de nombreuses années[35] le classant en tête des personnalités françaises les plus aimées (jusqu’à ce que l’abbé retirât lui-même son nom du classement).
L'abbé Pierre et les Brigades rouges [modifier]


L'abbé Pierre a « spontanément témoigné » dans les années 1980 en faveur du groupe de réfugiés italiens à Paris, dirigé par Vanni Mulinaris. Il a également effectué une grève de la faim du 26 mai au 3 juin 1984, dans la cathédrale de Turin, en protestation contre les conditions de détention des membres des Brigades rouges (BR).
L'année précédente, en 1983, l'abbé Pierre avait parlé avec le président Sandro Pertini en faveur de Vanni Mulinaris, qui dirigeait l'institut de langues Hyperion à Paris, et avait été arrêté et emprisonné, accusé d'être membre des BR (il sera par la suite relaxé et blanchi de cette accusation).
L'abbé Pierre aurait également convaincu François Mitterrand d'accorder l'asile aux réfugiés politiques italiens, en promettant de ne pas extrader ceux qui auraient rompu avec leur passé[36].,[37],[38]
Prises de position pour la réforme de la doctrine de l’Église [modifier]


Sur l'ordination des hommes mariés [modifier]


En 2005, dans son livre Mon Dieu… pourquoi ?, rédigé avec Frédéric Lenoir, il déclare qu’il a été attiré par des jeunes filles, étant lui-même jeune homme et avant d’entrer dans les ordres. À ce sujet, il invite les dirigeants d'Église à réfléchir sur une éventuelle réforme de la discipline de l’Église en faveur de l’ordination des hommes mariés. Et ne comprend pas l’opposition des papes Jean-Paul II et Benoît XVI, l’ordination des hommes mariés étant autorisée par l’Église dans certains rites orientaux. En outre, il voit dans cette autorisation un moyen de lutter contre la pénurie de nouveaux ministres du culte de l’Église. Il incite également à réfléchir à l’ordination des femmes.
Sur l'homoparentalité [modifier]


Dans cet ouvrage, il ne s’oppose pas à l’homoparentalité, à condition que les enfants ne subissent aucun préjudice psychologique ou social et explique notamment son opinion sur le fait « qu’un modèle parental classique n’est pas nécessairement gage de bonheur et d’équilibre pour l’enfant ». Mais il se déclare contre le mariage et préfère y substituer une « alliance » homosexuelle. Car selon lui, le mariage homosexuel « créerait un traumatisme et une déstabilisation sociale forte. »
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MessageSujet: Re: Foi, religion, croyances ...   Foi, religion, croyances ... - Page 6 Icon_minitimeMar 16 Nov - 14:54

L'idéologie analysée par la psychologie [modifier]
Cette partie est une traduction du passage sur l'idéologie dans wikipedia (en).
Certaines recherches en psychologie [11] suggèrent que les idéologies reflètent les procédés des besoins et désirs, contrairement à la pensée que les convictions politiques dérivent toujours d’une réflexion indépendante et objective. En 2008[11], une recherche a suggéré que les idéologies pourraient fonctionner comme des éléments d’interprétation qui se répandent pour répondre aux besoins de comprendre le monde, d’éviter l’angoisse existentielle et de maintenir des relations d’estime entre les personnes. Les auteurs ont conclu que de tels besoins pourraient conduire de façon disproportionnée à l’adoption de systèmes de justification des visions du monde ( (en) system justification). ( voir l'étymologie d'idéologie )
Les psychologues ont découvert que des traits de personnalité ( (en) Personnality traits), diverses particularités individuelles, besoins et croyances idéologiques pourraient être liés. Par exemple, une méta-analyse de Jost, Glaser, Kruglanski et Sulloway en 2003 a confronté 88 études originaires de 12 pays différents, comportant plus de 22 000 sujets et a trouvé que l’angoisse de la mort (présente dans le terrorisme dans les médias, le marketing de la peur) ( (en) Terror management theory), les intransigeances/intolérance face à l’ambiguïté ( (en) Ambiguity tolerance), le manque d’ouverture aux nouvelles expériences(lack of openness to experience), le fait d’éviter l’incertitude(Aversion à l'incertitude), le besoin de se réduire à l’aspect cognitif (en) cognitive closure), le besoin d’une structure identitaire personnelle, et la crainte de perdre sa position ou son de soi estime personnelle, tous contribuent au degré de conservatisme politique [12] chez l’individu.
Selon les chercheurs, ces résultats montreraient que les conservateurs en politique mettent l’accent sur la résistance au changement et qu’ils sont mus par des besoins qui visent à réduire la peur et l’incertitude. Selon Robert Altemeyer((en)) ainsi que d’autres chercheurs, les individus conservateurs en politique ont tendance à se placer très haut sur l’échelle d'autoritarisme de droite.

  • ( (en) Right-wing authoritarianism) (RWA) : Échelle mesurant la soumission d’un individu aux autorités établies, son agressivité contre les opposants des autorités établies et son adhérence aux normes sociales. En dépit du terme "right-wing" (de droite), il a été montré en URSS que des individus communistes pouvaient donner des scores élevés. [13].

La psychologue Felicia Pratto et ses collègues ont obtenu des données soutenant l'idée qu’une grande Orientation vers la domination sociale est fortement liée à des visées politiques conservatrices.

  • ((en) Social Dominance Orientation) (SDO) : Échelle mesurant la préférence d’un individu pour un système hiérarchique.

Il est donc avéré que le conservatisme de droite ou de gauche, défini par une politique et une idéologie rigide et fermée, risque de conduire à choisir --souvent inconsciemment-- une idéologie caractérisée par l’autoritarisme (pouvant aller jusqu'au fascisme ou au totalitarisme), et favorisant donc ses représentants.
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MessageSujet: Re: Foi, religion, croyances ...   Foi, religion, croyances ... - Page 6 Icon_minitimeMar 16 Nov - 15:08

La laïcité en France est un principe[n 1] qui distingue le pouvoir politique des organisations religieuses — l’État devant rester neutre — et garantit la liberté de culte (les manifestations religieuses devant respecter l’ordre public) ; il affirme parallèlement la liberté de conscience et ne place aucune opinion au-dessus des autres (religion, athéisme, agnosticisme ou libre-pensée), construisant ainsi l’égalité républicaine.
À travers la laïcisation de la société, il ne s’agit pas pour la République de combattre les religions, mais d’empêcher leur influence dans l’exercice du pouvoir politique et administratif, et de renvoyer parallèlement les idées spirituelles et philosophiques au domaine exclusif de la conscience individuelle et à la liberté d’opinion. Ce principe a modifié en profondeur la société française ; la transformation est toujours à l’œuvre aujourd’hui dans l’adaptation du droit et des institutions nationales aux évolutions de la société française.
Toutefois, l'existence dans la législation et dans le débat public d'une distinction entre laïcité et neutralité, de même qu'entre liberté de conscience et liberté d'opinion, démontre que la religion n'est réellement perçue et traitée ni comme un phénomène strictement privé ni comme un simple courant d'opinion parmi d'autres. La notion même de laïcité, telle qu'elle est comprise dans la société Française, n'est donc pas dénuée d'ambigüité. Jusqu'au début du xxe siècle, l'idée de laïcité représentait avant tout, en pratique, la volonté de réduire l'influence de l'Église catholique sur les institutions, cette influence étant identifiée comme une menace majeure pour les valeurs républicaines. Depuis, ces valeurs se sont trouvées confrontées à des doctrines radicales d'origines diverses et non liées au catholicisme traditionnel (idéologies totalitaires, phénomènes sectaires, fondamentalisme religieux), de sorte que la laïcité s'inscrit de nos jours dans une perspective beaucoup plus complexe
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MessageSujet: Re: Foi, religion, croyances ...   Foi, religion, croyances ... - Page 6 Icon_minitimeMer 17 Nov - 20:38

Dieu, le diable et moi


Rencontre avec André Frossard, propos recueillis par Gilles Farcet



Faute de pouvoir, pour ce dossier, interviewer Dieu lui-même, nous ne pouvions faire moins que de nous entretenir avec celui qui dit l’avoir rencontré ! Journaliste redouté pour ses billets du "Figaro" et écrivain religieux à la plume savoureuse, André Frossard, de l’Académie Française, a raconté en un livre qui fit date (Dieu existe, je l’ai rencontré) sa fulgurante rencontre avec Dieu. Loin du personnage solennel auquel on pourrait s’attendre, André Frossard est un homme plein d’humour qui n’a pas son pareil pour, d’une voix gouailleuse, décocher des formules qui font mouche tout en tirant d’un air à la fois ironique et tendre sur son éternel fume-cigarette.




Nouvelles Clés : Votre conversion à une religion particulière, à savoir le catholicisme, n’a-t-elle pas été fonction du contexte ? Saisi par l’expérience mystique dans une église catholique romaine, vous en êtes naturellement sorti catholique romain...

André Frossard : Vous savez, ainsi que je le dis dans mon livre, il m’arrive de sortir d’une gare sans être un train.




N. C. : Certes, mais le catholicisme n a pas l’exclusivité des conversions brutales et des expériences mystiques fulgurantes. L’Islam et l’hindouisme, pour ne citer que ces religions, regorgent d’histoires de ce genre : un indifférent voit soudain ta lumière et consacre son existence à Dieu, un débauché rencontre un saint et laisse tout pour le suivre... Non que vous fussiez un débauché...

A. F. : Oh, je ne l’étais guère plus que vous... Bon, d’accord, il y a des gens qui découvrent une vérité et d’autres qui découvrent la vérité.




N. C. : Admettons que la vérité existe ; pourquoi l’Eglise catholique en aurait-elle le monopole ?

A. F. : Pour les chrétiens, la vérité n’est ni un concept, ni une idée, ni une doctrine, c’est une personne, une personne vivante. Cela change tout, et c’est justement cette personne que j’ai rencontrée. On peut me dire tout ce que l’on voudra, cela ne change rien à mon expérience. Qu’elle ait eu des précédents, je n’en doute pas et cela me rassure : si j’étais le seul à avoir connu cela depuis le commencement du monde, je commencerais à sérieusement à m’inquiéter sur mon cas. Bien avant que cela ne m’advienne, il est effectivement arrivé qu’un indifférent reçoive en un jet de lumière extraordinairement violent une révélation de l’être même de Dieu.

Reste que ces "révélations" sont rares. Si la bienheureuse victime d’un tel éclair tente de s’en ouvrir aux autres, elle va susciter des réactions diverses : il se trouve toujours quelques coeurs simples pour y puiser une aide, un réconfort. Sinon, elle ne rencontre que scepticisme et méfiance... Il en est qui y voient quelque déplorable accident cérébral, parlent d’hystérie, de paranoïa, de névrose obsessionnelle, fournissent des explications neurologiques, lesquelles ont d’ailleurs ceci de remarquable qu’elles n’expliquent rien du tout ! Et puis certains font la même remarque que vous : il y a des précédents. De fait, le christianisme repose en partie sur un certain nombre de phénomènes du même genre qui se sont produits avec plus d’éclat et ont laissé dans l’histoire chrétienne des traces plus profondes que je n’en laisserai, c est sur...




N. C. : Vous disiez que cela vous avait longtemps retenu d’écrire...

A. F. : Oui, car je craignais que les gens ne se disent : "Tant que je n’ai pas reçu semblable révélation, il ne me reste qu’à attendre." Et puis, cette expérience a des allures d’anomalie. Elle ne s’inscrit pas dans l’ordre habituel des choses. En outre, l’aspect quelque peu miraculeux du phénomène est propre à exciter la défiance, en particulier celle des ecclésiastiques qui n’aiment guère les miracles et voient d’un assez mauvais oeil les bonnes surprises de la religion...




N. C. : Vous n’avez vraiment pas le moindre élément de réponse à cette question : "Pourquoi moi ?" ?

A. F. : Peut-être étais-je plus disponible qu’un autre... Peut-être Dieu fulgure-t-il ainsi toute la journée au nez et à la barbe de tout le monde alors que chacun regarde ailleurs... Peut-être étais-je tourné dans la bonne direction, peut-être étais-je un peu plus vide que mon prochain et donc plus objectif, davantage disposé à recevoir quelque chose que je ne cherchais d’ailleurs pas... C’est possible, mais jamais je ne trouverai d’explication satisfaisante et il serait mauvais pour ma vanité que j’en trouve une.




N. C. : Comment se fait-il que vous aviez d’un coup accepté non seulement Dieu mais l’Eglise ?

A. F. : C’était donné en même temps ! Tout cela était inclus en une même lumière. Voyez-vous, la lumière spirituelle n’est pas de la même nature que celle qui nous éclaire aujourd’hui, par cette belle journée d’été. Elle est beaucoup plus intense, elle est aussi enseignante. Il ne s’agit pas d’une lumière gratuite : elle est chargée d’informations. En même temps qu’elle me révélait Dieu, elle me révélait l’Eglise et tout ce qu’il était bon que je sache du christianisme. Tout cela, je l’ai appris en quelques secondes.




N. C. : Vous êtes un curieux personnage : je devine en vous un côté anarchiste, gouailleur, irrévérencieux, une sorte de folie - de folie mystique, peut-être - qui s ’accommode mal des institutions, des Cardinaux, des Evêques. . . que vous n’aimez d’ailleurs guère.

A. F. : Oh, je supporte très bien le pape !




N. C. : On le sait. Vous m ’avez d’ailleurs fait part au téléphone de votre "devise" : "A bas la calotte, sauf la blanche"...

A. F. : Oui, je fais exception pour le pape ainsi que pour une minorité de cardinaux. Vous avez raison, il y a en moi un sceptique. Si je devais résumer ma métaphysique, je dirais que pour moi, Dieu seul existe et que le reste n’est qu’hypothèse. Voilà le fond de ma pensée ! Quand on a quelque idée de ce qu’est Dieu et qu’on le compare au monde, deux sentiments naissent : l’un qui produit souvent les saints, du contraste entre la pureté de Dieu et la noirceur du monde. C’est ce qu’éprouvent nombre de grands mystiques, lesquels voient le monde sous un jour plutôt pessimiste. Chez d’autres, de tempérament moins puissant et moins absolu, cela engendre un certain sens du grotesque. Ils voient tout le que le monde a de dérisoire, sans pour autant devenir insensible, au contraire. Ils n’en éprouvent que plus de pitié pour la solitude des êtres humains, perçoivent la dimension à la fois touchante et quelque peu comique de tout ce qui est. Voilà pour les mystiques qui ne deviennent pas des saints, au nombre desquels je m’inclus, bien entendu.




N. C. : Qu’en est-il des mystiques qui deviennent des saints ?

A. F. : Ce sont des incendiaires. La première chose qu’ils jettent au feu, c’est leur propre personne. Il désirent brûler et communiquer leur ardeur.




N. C. : Et les autres, comme vous, prennent refuge dans l’ironie ?

A. F. : Il n’y prennent par refuge, ils y ont tendance. Mais l’ironie chez eux, n’efface pas du tout l’émotion.




N. C. : Permettez moi, dans ce cas, d’abuser encore de votre compassion en vous posant une question vaguement perfide : vous venez d’évoquer tout le dérisoire du monde, son néant, pour ainsi dire. Sic transit gloria mundi. Or, et c’est là l’un des paradoxes de votre personnage, l’itinéraire social d’André Frossard, de l’Académie Française, pilier du Figaro, ne témoigne guère d’un mépris du monde. Il apparaît plutôt comme celui de quelqu’un qui s’en serait fort préoccupé.

A. F. : Vous savez, dans la vie, on doute toujours de soi. A partir de ma conversion, je n’ai eu de cesse d’avoir prouvé mon équilibre et mon bon sens, jusqu’à écrire au Figaro, journal qui compte tout de même peu d’illuminés mystiques. Dès lors que l’on entreprend ainsi de démontrer son aptitude à la vie dite normale, c’est un enchaînement. Pour que mon témoignage ne paraisse pas suspect, que l’on n’y voie ni amertume ni regret, il me fallait absolument faire la preuve de ma capacité de réussite selon les termes du monde.




N. C. : Il vous fallait somme toute gagner sur tous les tableaux...

A. F. : Notez qu’à force de vouloir prouver le sérieux de mon expérience, je finis peut-être par prouver le contraire et par me faire du tort ! Peut-être mon témoignage eût-il eu davantage de poids si, après ma conversion, je m’étais retiré dans quelque solitude pour prier Dieu jour et nuit ou m’étais engagé dans l’action apostolique.




N. C. : Justement, qu’est-ce qui vous en a empêché ?

A. F. : Figurez-vous que ma conversion m’a ramené à l’âge de cinq ans. En sortant de cette chapelle, j’avais vraiment cinq ans. Le monde était un jardin, assez joli d’ailleurs et complètement illusoire... C’était un charmant décor, tandis qu’il n’y avait d’autre réalité que Dieu. Je n’avais pas de mission, on ne me demandait rien. Vous comprenez, je ne suis pas Saint Paul qui rencontre le Christ et s’exclame aussitôt : "Que dois-je faire ?" Cette idée ne m’a pas effleuré, jamais je n’ai pensé que l’on pouvait attendre quelque chose de moi. Mes quelques confidences à propos de mon aventure n’ayant provoqué dans mon entourage que suspicion ou inquiétude, j’ai décidé de n’en plus souffler mot et me suis dit : "La première chose que tu as à faire, c’est de prouver que tu n’es pas timbré." J’y ai, je crois, réussi, et le sommet de la preuve c’est l’Académie Française.




N. C. : Admettons. Mais ne craignez-vous pas de finir par vous y identifier ? Ne risquez-vous pas de vous réveiller un beau matin sans vous apercevoir que vous vous prenez au sérieux ?

A. F. : Il n’y a aucun risque que cela m’arrive, j’en ai la certitude. En effet, ce que vous révèle en premier lieu une rencontre avec Dieu, c’est votre propre néant. Face à cet éclat, cette douceur, cette pureté absolue, devant cet être total, vous voyez que vous n’êtes rien. Cela, jamais vous ne pourrez l’oublier, vous le savez une fois pour toutes. Comment pourriez-vous par conséquent tourner le regard vers vous-même puisque vous savez qu’il n’y a rien ? Circulez, y a rien à voir ! C’est très clair. L’introspection ne présente plus pour vous le moindre intérêt puisque vous savez n’être que néant, un néant dont Dieu a tiré quelque chose.




N. C. : Justement, pourquoi l’a-t-il fait ?

A. F. : C’est sa magie, sa charité... C’est son originalité profonde de tirer quelque chose de rien. Dieu a un côté prestidigitateur ; vous êtes le chapeau duquel il a tiré un lapin. Or, il ne sert à rien de contempler le chapeau... Pour me prendre au sérieux, il faudrait que je me contemple et rien ne m’intéresse moins de me regarder.




N. C. : Un mot du diable : vous lui avez accordé assez d’attention pour lui consacrer un livre (éd. Albin Michel - Col. Espace Libre). "Les 36 preuves de l’existence du diable..."

A. F. : Mon projet en écrivant ce livre était de blaguer, de blaguer sérieusement, bien sûr, comme je le fais toujours. Je voulais dire sous une forme plaisante certaines vérités exotiques. J’ai donc imaginé que je recevais des lettres signées du diable. Ainsi que je le dis dans l’introduc­tion, je m’étais un jour fait cette réflexion : l’Evangile dit du diable qu’il est le Prince de ce monde. S’il l’était vraiment, que se passerait-il ? Il ne m’a pas fallu longtemps pour en arriver à la conclusion qu’il se passerait précisément ce qui se passe aujourd’hui ! Et puis les ennuis ont commencé, sérieux et graves. Voyez-vous, le diable n’aime pas qu’on s’occupe de lui, surtout quand on essaie de ne pas trop faire son jeu. Un ami m’avait averti : "Ne te mets pas à parler du diable, tu vas le voir arriver !" Et ça n’a pas raté : tandis que j’écrivais, il s’est passé des choses...




N. C. : Feriez-vous précisément allusion à des phénomènes surnaturels ?

A. F. : Nullement. Ces événements avaient un air de naturel inquiétant... Le diable se sert de ce qui existe et se contente d’en user à votre détriment. Non qu’il n’y ait, peut-être, quelques cas, très rares, de possession. Le reste relève généralement d’hallucinations, de la maladie mentale.

Dans mon cas, et sans vous raconter ma vie, disons qu’il s’est produit, dans mon existence et celle de ma famille une incroyable série d’événements très dangereux qui ne dépassaient certes pas le cadre ordinaire : ce n’était pas le grappin du curé d’Ars (ni odeur de souffre, ni meubles se mettant à cogner contre les murs) ; il s’agissait tout bonnement de choses naturelles prenant une allure par moments effrayante. Elles se sont comme par hasard produites durant l’écriture du livre puis se sont arrêtées sitôt le livre terminé.




N. C. : Si je vous suis bien, mieux vaut ne pas taquiner la bête...

A. F. : On n’y a pas intérêt, en effet.

Oh, je sais bien qu’il n’a guère aujourd’hui droit de cité dans les mentalités. Mais enfin, il existe, quoi qu’en pense notre société contemporaine. Et si nous ne pouvons pas vivre en cherchant à partout déceler l’oeuvre du diable, mieux vaut ne pas faire comme s’il n’existait pas. On ne sait jamais, cela pourrait être dangereux.




N. C. : Un mot du pape Jean Paul II, maintenant.

A. F. : Ah, c’est tout l’opposé !




N. C. : Vous êtes son inconditionnel...

A. F. : Premièrement, son élection fut prophétique. Parmi les vieux cardinaux du Conclave, nul ne pouvait savoir en 1978 que le communisme s’écroulerait en 1989.

Qui aurait pu prédire avec dix ans d’avance que ce système qui paraissait bâti pour au moins un siècle ou deux allais se volatiliser comme sous l’effet d’un gigantesque exorcisme ? Dès que j’ai vu Jean Paul II apparaître, je me suis dit : "voilà que nous vient un Galiléen, la foi personnifiée." Deuxièmement, il a une si prodigieuse conscience de sa fonction qu’il en devient presque transparent. Lorsqu’il parle des choses de Dieu ou de la religion, vous voyez d’abord le pape, puis au-delà du pape le prêtre, et au-delà du prêtre, l’enfant, un enfant que Dieu tient par la main. Voilà ce qui me touche chez lui. Il voit partout pousser des grains de sénevé qui me restent invisibles. Alors il me les montre et je suis bien content.




N. C. : Vous avez le don des relations : d’abord c’est Dieu qui vient vous voir, ensuite le grand pape du XXè siècle qui vous accorde des entretiens...

A. F. : Et puis avant, il y eut De Gaulle...




N. C. : Ah oui, De Gaulle, au passage, j’ai failli l’oublier. . . Autrement dit, le seul grand homme politique du siècle à avoir eu une dimension spirituelle. Pas mal !

A. F. : Au fond, je suis un arriviste... Cela compense un peu le dédain que me témoignent nombre d’intellectuels. Je me console avec Dieu, De Gaulle et le Pape.




N. C. : Jean Paul II concilie des initiatives d’une grande ouverture - je pense entre autres à la rencontre interreligieuse d’Assise - avec des discours que d’aucuns n ’hésitent pas à qualifier de rétrogrades...

A. F. : Il n’y a là rien de paradoxal. Je n’ai jamais vu un homme si bon et si mal compris. Dans la situation où il se trouve, Jean Paul II a devant Dieu une responsabilité qui l’obsède. Les théologiens et penseurs chrétiens du jour ont à se former une pensée, à chercher à plaire au monde ; lui ne veut que plaire à Dieu qu’il ne quitte jamais de l’oeil. C’est ce qui l’amène à prendre sur le plan social et politique des positions quasi-révolutionnaires - il n’est content ni de l’Orient ni de l’Occident - et, sur le plan moral, à formuler les exigences d’un absolu dont tout le monde sur la terre cherche à se débarrasser. Car enfin, les hommes aiment vivre dans le relatif, et on ne peut pas dire que l’absolu les tourmente jour et nuit. Lui, au contraire, se sent responsable et il ne veut pas en rabattre sur ce qu’il tient pour vrai. Lorsqu’il parle de morale sexuelle, on oublie trop souvent que pour lui, c’est Dieu qui fait les enfants. Il ne l’impose à personne, on n’est pas obligé de le croire. Mais comment voulez-vous qu’il se montre plus accommodant à l’égard de l’avortement, par exemple ? C’est impossible. Jamais il ne changera de discours. Notez bien qu’il ne juge personne. Il dit le vrai selon la foi, sans que cela implique la moindre condamnation envers qui que ce soit.




N. C. : Cette absence de condamnation de la part du pape n est pas souvent relevée...

A. F. : Elle est pourtant très importante. Pour lui, s’il y a faute, elle est rachetée par le Christ qui porte sur lui tous les péchés passés, présents et même futurs. Par consé­quent, il ne s’agit nullement à ses yeux d’une question judiciaire mais d’un enjeu métaphysique.




N. C. : Dieu n’est par conséquent pas un père fouettard. Et l’enfer ?

A. F. : Oh, il existe. Mais il n’y a personne dedans. S’il y avait là-bas ne serait-ce qu’une seule personne, ce serait un échec divin. Or, je me refuse à croire que Dieu puisse échouer, ne serait-ce qu’une fois. J’ai dit un jour au pape, qui ne m’a d’ailleurs pas dit le contraire, que pour moi, le judaïsme est la foi et que le christianisme est aussi la foi à partir de laquelle il n’y avait plus que des exceptions. Si ce n’était pas le cas, l’abominable sacrifice du Christ n’aurait servi à rien. Remarquez que ce n’et pas une raison pour se conduire comme des cochons !




N. C. : Si je vous suis bien, ce n’est pas, comme on le croit souvent, par peur du jugement mais par respect pour Dieu lui-même que le croyant doit se soumettre à une éthique...

A. F. : Le péché n’est pas un manquement à la loi, mais une blessure faite à Dieu. Pécher, c’est ajouter quelque chose à la passion du Christ. C’est un coup de fouet supplémentaire, un crachat de plus au visage du Seigneur.




N. C. : Lequel ne se venge pas ?

A. F. : Pas plus que pendant sa passion.




N. C. : Le seul motif de ne pas pécher, c’est donc de vouloir épargner Dieu ?

A. F. : C’est la peur de blesser un enfant. Voilà ce que c’est pour moi, ainsi que pour tous les mystiques, je crois. Ce n’est pas la crainte d’offenser quelque tout-puissant et sourcilleux satrape ; c’est tout le contraire : la crainte de faire du mal à un enfant. Voilà ma vision théologique et inédite de la vie chrétienne.




N. C. : Cette vision vous aide-t-elle à contempler la perspective de votre propre mort ?

A. F. : La mort n’existe pas. Je ne vois pas pourquoi j’y penserais.




N. C. : Vous n’en avez donc pas peur ?

A. F. : Peut-être mon corps résistera-t-il de toutes ses forces, peut-être serai-je hurlant et gesticulant ; comment le saurais-je ? Je ne puis préjuger des réactions de mon corps. Spirituellement, par contre, je sais que la mort n’existe pas, pas même un instant. De toute façon, on ne ferme les yeux sur ce monde que pour les ouvrir sur la résurrection. Il ne s’école aucun temps dans l’intervalle. Les gens s’imaginent toujours en train d’aller fleurir leur propre tombe durant trois mille ans, mais pas du tout ! C’est un clin d’oeil. Par ailleurs, Dieu n’a pas besoin de nos sens pour communiquer avec nous. Nous sommes autre chose que ce corps.




N. C. : Et que sommes-nous donc ?

A. F. : Nous sommes un nom. C’est ce nom qui fait notre personne. Dieu le connaissait avant notre naissance, nous n’en prendrons connaissance qu’après notre mort.




N. C. : En admettant que la mort ne soit qu’un passage éclair vers la résurrection, reste qu’il y a la souffrance. Simone Weil refusait toute justification de la souffrance d’un enfant. Comment un Dieu miséricordieux pourrait-il permettre tant de souffrance, tant de bourreaux et de victimes ?

A. F. : Vous posez là une question essentielle qui supposerait une longue réflexion. Car c’est dans la souffrance que réside le secret de tout. La vraie question est à mon sens la suivante : pourquoi a-t-il fallu que le Christ prenne le chemin du calvaire pour sauver les hommes ? N’aurait-il pas pu faire autrement ? Répondre à cette question, c’est répondre au problème de la souffrance. Voyez-vous, le Christ n’est autre que don total, charité absolue alors que Dieu est le Père, celui que j’ai "rencontré", est effusion pure. Or, quand un homme tel que le Christ incarné devient effusion pure, il perd jusqu’à la dernière goutte de son sang. Si vous le permettez, nous nous en tiendrons là sur ce sujet pour aujourd’hui.




N. C. : Y a-t-il un lien entre vos billets quotidiens et cette expérience mystique qui réside tout de même au centre de votre existence ? Car enfin, vous êtes politiquement marqué. Dieu est-il de droite ? Lit-il plus volontiers "Le Figaro" que "Libération" ?

A. F. : Non. Dieu ne se soucie pas de cela, c’est moi qui m’en occupe. Le sens critique étant chez moi particulièrement développé, il me suggère des réflexions qui ne sont pas toujours aimables, notamment à l’égard des hommes politiques. Notez que jamais je n’attaque leur personne : je ne les juge pas en tant qu’êtres humains, mais ne m’occupe que de leurs idées ou de leurs discours. Ayant constaté qu’il n’est pas de discours qui ne tombe dans l’absurde dès lors qu’on le prolonge un peu, j’use de cette facilité pour détruire des idées fausses. C’est mon côté journaliste : je ne puis supporter que le monde tourne sans que je donne mon opinion sur le sens de sa marche. A travers mes papiers, je ne cherche pas à infuser Dieu à mes contemporains mais à démolir des systèmes d’idées qui me paraissent faire obstacle au passage du spirituel dans la vie. Il s’agit en somme d’un travail de terroriste... de terroriste doux, car je ne suis pas méchant.




N. C. : Quelles sont donc les idées "fausses" ? Celles de gauche ?

A. F. : Celles des autres (rires). En fait, elles le sont toutes. La valeur d’une idée tient à son origine. Dans la mesure où toutes ces idées partent d’un point quelconque de l’horizon et non de la source de toute chose, elles sont nécessairement fausses, ou incomplètes. Il n’y a pas d’idées politiques valables, pas une seule, ni à gauche, ni à droite, bien entendu.
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MessageSujet: Re: Foi, religion, croyances ...   Foi, religion, croyances ... - Page 6 Icon_minitimeMer 17 Nov - 21:17

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Religion et Spiritualité
par Michael
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Au jour d'aujourd'hui, il nous est possible d'effectuer un constat assez clair des différences et points communs qui séparent et unissent le concept de religion et celui de spiritualité. Tentons de définir dans un premier temps ce que désigne ces deux mots.
La religion, au sens ou nous l'entendons communément, est une structure sociale qui régulait autrefois (et encore aujourd'hui dans certains pays) la vie d'un pays. Elle établissait des règles morales, des lois, régissait les différents événements de la vie (naissance, mariage, décès). En fonction des époques, des lieux et des ethnies, la religion était mise en place par des réformateurs politico-religieux dans le but d'amener un changement. Ces réformateurs se donnaient deux objectifs particuliers ; le premier, offrir une structure socioreligieuse pour réguler la société et le second, offrir un enseignement spirituel libérateur à celles et ceux qui étaient prêts pour l'initiation, la connaissance de soi. Ainsi, on pouvait distinguer un courant exotérique, une religion populaire, et un courant ésotérique réservé aux êtres plus avancés intérieurement. Malheureusement, les conflits d'intérêt semèrent la discorde entre les suiveurs des réformateurs, et ceux qui avaient pour charge la religion populaire ont commencé à se sentir en concurrence avec les responsables des voies ésotériques. Alors, les initiés durent soit se fondre dans la religion populaire et masquer leurs enseignements, soit partir de certaines contrées sous peine d'être mis à mort.
En ce sens les courants dits ésotériques se rapprochent de ce que l'on peut nommer aujourd'hui spiritualité. Puisque l'essentiel de leur message était d'apprendre à connaître l'être humain et le libérer de la dualité de son esprit, afin de lui permettre d'être en pleine conscience, libre et aimant. On retrouve ainsi un but commun dans toutes les voies foncièrement ésotériques ou initiatiques : la réalisation intérieure, que l'orient a nommé « l'éveil » et qui prend d'autres noms ailleurs pour un même fond.
Aujourd'hui, en occident précisément, nous vivons dans des républiques laïques, il nous est inconcevable de vivre dans un régime théocratique comme hier. Nous nous sommes battus pour être libre du clergé dogmatique ce n'est pas pour recréer de telles structures liberticides. Si la république laïque avec son propre système judiciaire et son éthique, qu'il convient d'ancrer, gère ce que la religion faisait jadis, en ce qui concerne la recherche intérieure il y a un manque. Historiquement la science s'est opposée au clergé en prônant la toute puissance de la raison, c'est une belle avancée, mais nous avons jeté le bébé avec l'eau du bain. Certes, il fallait critiquer et combattre les dogmes abrutissant du clergé, mais nous aurions dû, avant de tout jeter, regarder ce que proposaient les voies ésotériques et initiatiques. Celles-ci prônant à l'inverse du clergé une voie de libération intérieure, une voie d'équilibre entre raison et intuition et non un rejet de la raison comme l'a fait la religion et un rejet de l'intuition comme l'a fait la science. En fait la science a rejeté l'intuition et s'est réfugiée dans un autre pan de la dualité pour être le plus loin possible de la religion qu'elle rejeté. Et ainsi nous avons deux ennemis qui s'affrontent chacun sur un pan de la dualité, ne se rendant même plus compte qu'il existe une troisième voie, une voie d'équilibre.
La spiritualité aujourd'hui peut être totalement dégagée du baume religieux dans lequel elle était enveloppée jadis. En réalité le chemin vers soi est bien codifié depuis des millénaires par les initiés, il suffit d'en comprendre la trame et de l'adapter au monde dans lequel nous vivons. C'est ce qu'ont toujours fait d'ailleurs les initiés, en fonction des régions où ils se trouvèrent, ils transcodifièrent leur enseignement pour l'adapter à la culture où ils se trouvaient. Nous savons bien que toute religion est le syncrétisme de celles qui l'ont précédée, cela devient très clair à force de recherche archéologique et historiographique. Ainsi le judaïsme est une fusion de religion égyptienne et chaldéenne, le christianisme, un mélange de judaïsme et de religion païenne, l'islam un mélange de zoroastrisme, de judaïsme et de christianisme. Même le bouddhisme a comme base l'hindouisme pour ensuite s'adapter aux contrées dans lequel il s'installa. Ainsi, aujourd'hui en étudiant toutes les voies intérieures du monde, en les expérimentant et en intégrant leurs fondements, nous pouvons aussi effectuer ce travail de transcodification.
Certains courant de la psychologie moderne comme le courant transpersonnel et intégral avec Ken Wilber ont effectué ce travail de transcodification. Ils ont crée des pratiques de connaissance intérieure proche de ce qui se faisait dans les écoles initiatiques du passé et dans les voies ésotériques des religions. Ils ont proposé des méthodes de connaissance de soi adaptées aux contextes dans lequel nous vivons aujourd'hui. La spiritualité à la différence de la religion n'est pas soumise au dogme et à la croyance ; si elle peut avoir des croyances comme l'évolution de la conscience de vies en vies par exemple, celle-ci sera toujours inclusive, universelle et ne s'imposera à personne. Ces hypothèses seront proposées au chercheur afin qu'il voit si cela a une cohérence quelconque. Mais au final, la spiritualité n'a que très peu de croyances, car elle base son vécu sur le réel, sur ce qui peut être expérimenté au présent, en soi et non par un savoir de seconde main provenant de l'extérieur.
La spiritualité est je pense garante de la paix mondiale, les religions aujourd'hui causent la plupart des conflits mondiaux. Ces conflits sont issus du fait que tous les êtres s'inquiètent de leur sort et veulent accéder au bonheur mais que chacun est voilé par l'idée qu'il se fait du moyen d'y accéder. En effet, les religions populaires ont élevé des mythes, afin de calmer les esprits de peu de conscience en attendant qu'ils puissent comprendre des vérités plus vastes. Mais, il s'est élevé aussi des autorités religieuses qui n'ont pas voulues que les masses évoluent réellement, car si ces masses connaissaient le « secret » elles n'auraient plus besoin de ces autorités qui vivaient (et vivent encore aujourd'hui) sur la crédulité des peuples. Par contre les courants ésotériques de ces religions savaient la vérité cachée sous le mythe, mais ils devaient être prudents avec cela.
Aujourd'hui, cette prudence n'est plus de mise, notre monde a été réveillé par la science qui malgré son réductionnisme desséchant a tout de même permis de donner goût à la compréhension par delà les superstitions. Nous pouvons donc aisément révéler les « secrets » des initiés du passé afin de démystifier et libérer les croyants eux-mêmes du piège mythique dans lequel ils vivent pour certains. Grâce à l'histoire, l'archéologie, l'étude des mythes, la compréhension des symboles et surtout la compréhension intérieure, nous pouvons facilement remettre les pendules à l'heure et proposer la vérité qui se cachait sous le boisseau.
Ici je développe très rapidement, car cela sera démontré dans des articles suivants, que la vérité globale sur les religions est qu'elles ne furent pas révélées par un Dieu personnel, puisque selon la science ésotérique il n'existe pas de Dieu personnel. Dieu ou les dieux furent des mythes créés volontairement par les fondateurs pour tenter de réguler les peuples dont ils avaient la charge. Ainsi on codifia des récits mythiques et ont donna les clés de leur interprétation aux seuls initiés. La Torah est donc le fruit du chemin intérieur de Moise (s'il a existé) ou de ceux qui la rédigèrent, puis elle fut réécrite de nombreuses fois, des passages ayant été enlevés, d'autre rajoutés en fonction des desiderata des rois ou prêtres, et fonction des contingences guerrières de l'époque. Pour les évangiles, nous savons aujourd'hui qu'il y a très peu de chance pour que le Jésus des quatre évangiles canoniques ait réellement existé. Ces quatre évangiles étant une petite partie des dizaines d'autres qui existaient à l'époque, et qui étaient le fruit des écoles initiatiques qui rédigeaient des mythes initiatiques pour la compréhension intérieure des disciples. Mais ensuite, pour des raisons politico-religieuse, l'empire romain utilisa le christianisme non par foi, mais par intérêt et ainsi par le glaive il se développa. Pour l'islam c'est un peu la même chose, nous disposons de très peu de preuve de l'existence de Mahomet et les Corans les plus anciens retrouvés furent datés bien postérieurement à la naissance présumée de l'islam. L'analyse du Coran et des hadiths démontrant qu'ils sont une synthèse d'écrits juifs, chrétiens avec quelques éléments de mystique païenne. Le soufisme quant à lui, s'il apparaît dans une profondeur, est antérieur à l'islam et il est lié aux écoles initiatiques et non à la « révélation » coranique. Pour ce qui est des religions orientales c'est assez différent, l'hindouisme est la plus ancienne religion actuelle, elle n'a jamais essayé de se répandre par prosélytisme et ses fondements religieux sont assez ouverts, sans compté que sa mystique est restée intacte. Pour le bouddhisme, s'il a prit pied sur l'hindouisme en s'opposant à la dégradation du culte de l'époque, il est très ouvert et non dogmatique en général. Il s'est adapté dans les contrées où il s'est répandu avec une certaine souplesse, en incluant les religions et spiritualités qui y étaient déjà.
Les religions orientales ont laissé plus de place à la spiritualité et ainsi en les étudiant nous pouvons emprunter de nombreux éléments très intéressants pour l'élaboration d'une voie spirituelle occidentale et actuelle. Des êtres comme Bouddha par exemple relevaient plus du chercheur spirituel que du prophète missionné par un Dieu personnel. Le but était d'apprendre à connaître la conscience humaine et trouver un chemin de libération, qui mène au bonheur. Notre but est le même que celui du Bouddha jadis, trouver un chemin de libération qui mène au bonheur et qui s'adapte aux besoins des humains de ce siècle. Pour cela, non seulement il convient d'étudier toutes les religions, mystiques et voies initiatiques, mais il convient de les pratiquer, de les expérimenter et de voir ce qui est le plus efficace pour libérer l'humain de la peur et l'amener à vivre pleinement l'amour dans le cœur. Tout ceci peut réellement amener à l'émergence d'une société plus épanouie et en paix, si les êtres qui la constituent sont heureux et libre d'aimer, alors ce monde pourrait peut-être espérer en faire autant un jour. C'est en tout cas le pari d'Unisson06, il parait utopique pour certains, mais comme disait Victor Hugo : « l'Utopie d'aujourd'hui est la réalité de demain » sans le prendre comme une autorité, je pense qu'il savait ce qu'il disait par cela.
La religion aujourd'hui n'est plus adaptée, les outils qui servaient hier n'arrivent pas à comprendre les humains du 21 ème siècle. Notre monde n'est plus le même, c'est un fait, les modes d'accession au spirituel ne sont plus les mêmes non plus. Certains restent ancrés dans la religion parce qu'ils pensent (mais c'est tout simplement un conditionnement basé sur la peur de l'inconnu) qu'elle offrira l'au-delà. Mais avant de vouloir l'au-delà il convient de comprendre l'eau d'ici et maintenant. Dans toutes les voies initiatiques du passé (qui côtoyaient les religions populaires et les besoins de l'au-delà des peuples) on ne visait pas un au-delà illusoire, mais on essayait de comprendre ce qu'est la conscience humaine. Car, par expérience, les initiés savaient que les croyances en l'au-delà étaient des créations mentales et qu'elles n'étaient pas la réalité puisqu'elles se basaient plus sur l'inconscience de la peur de ne plus être plutôt que sur la conscience d'être. Voila pourquoi le tronc commun de ces voies indique que celui qui connaît la source de sa conscience crée sa propre réalité dans ce monde et dans l'autre. Ainsi, ils invitèrent ceux qui voulaient comprendre la vérité à méditer profondément et à remonter à la source de leur conscience, à l'unité foncière. Ainsi, les divers concepts sur l'au-delà élaborés par les religions voilent une compréhension symbolique et intérieure, mais tant que l'être ne s'est pas connu lui-même, il croira en la réalité d'un paradis et d'un enfer.
La spiritualité laïque, tout comme les voies initiatiques, enseigne qu'il n'existe que la conscience et ce que celle-ci crée sa propre réalité. Elle énonce que toutes croyances, imageries, mots, concepts, dogmes n'est pas la réalité et de manière ultime, que tout ce qui peut être observé par la conscience est transitoire, impermanent. La seule chose qui soit réel dans le sens de stable et permanent étant la conscience témoin. Nous étudions ainsi la conscience humaine sous tous les aspects, les outils étant le corps, les sens, les émotions, les pensées. En étant cette conscience témoin la vie se vit clairement et librement sans craintes du passé ou du futur. La mort physique est aussi pleinement comprise grâce à l'expérimentation méditative et la compréhension de ce qu'est la conscience pure. En étudiant les processus de la mort à la lumière des écrits initiatiques et de l'expérience personnelle, nous pouvons ainsi préparer l'être à ces phases de l'existence. Comprendre la mort et son processus, s'est comprendre ce qu'est bien vivre et pourquoi nous vivons. Quand l'esprit est clair, lavé de toutes croyances, préjugés, projections, la conscience pure jaillie et la compréhension de toute la structure de l'être et du monde devient évidente. La mort physique est vue comme une étape dans l'évolution de la conscience et non comme une finalité. En comprenant le moteur évolutif qui sous-tend toute l'existence, nous pouvons comprendre que si l'espèce a évolué, la conscience aujourd'hui fait évoluer l'espèce dans son intériorité.
Je résume ici, mais au fond si l'on vient à s'intéresser à la spiritualité c'est aussi pour comprendre ce qu'est la vie et pourquoi la mort. Le chemin n'a que pour seul but de se libérer de la peur de la mort, c'est tout et c'est déjà l'essentiel. De part le passé, des milliers d'hommes et de femmes ont expérimenté cela, nous bénéficions ainsi de leur recherche et nous pouvons y associer les nôtres. La science évolue de son côté, elle essaye de sortir de l'ornière réductionniste dans laquelle elle a été forcée de se mettre pour lutter contre le dogmatisme de l'église. Des scientifiques courageux depuis Einstein à Jean Pierre Garnier-Mallet (physicien quantique) tentent d'élaborer des ponts entre science et spiritualité. La physique quantique, les neurosciences, la parapsychologie avancent grandement dans le but de trouver une explication universelle à la conscience humaine. La spiritualité laïque avance avec ces êtres qui bravent les résistances aux changements que l'on retrouve aussi dans les universités et les centres de recherches.
La spiritualité c'est juste la vie et la vie est UNE, il n'y a pas d'un côté la vie de la religion, de l'autre la vie de la science et entre les deux un conflit puéril à savoir qui aura le dernier mot. La vie est UNE et l'humain a autant besoin de rationalité que d'intuition, une vie que de raison devient froide et binaire, coupée d'une certaine créativité par peur de sortir du cadre. Une vie faite que d'intuition peut mener rapidement au manque de lucidité, de cohérence. En ce sens la spiritualité laïque, même si ce n'est qu'un concept de plus, propose la ré-union de la raison et de l'intuition et l'unité de l'être humain.
Je pense que cela vaut la peine d'être expérimenté, mais avant cela il convient d'effectuer un travail de fond en soi pour se déconditionner de ce qui empêche l'être de libérer sa créativité. Voila pourquoi nous proposons des pratiques, des lectures, des méditations ; tout ceci pour travailler directement et établir des prises de conscience pleines et entières.
Il n'est pas possible à un esprit conditionné par une religion dogmatique d'accéder directement à la compréhension de la spiritualité. Il lui faudra étapes par étapes travailler sur son déconditionnement progressif, qu'il se libère par un travail intérieure des chaînes mentales qui l'emprisonnent.
Il n'est pas possible à un esprit conditionné par une science réductionniste d'accéder directement à la compréhension de la spiritualité. Il lui faudra étapes par étapes travailler à l'ouverture de sa conscience à l'intuition, oser franchir le pas vers ce qui dépasse les limites de la raison.
Honnêtement tout ceci est possible car cela a été expérimenté, nous savons par expérience et non par croyance que la liberté humaine réside, comme l'avait énoncé le bouddha entre autre, dans « la voie du milieu » ; une voie d'équilibre qui crée l'équilibre en soi et autour de soi.
Je ne demande à personne de croire à tout ce qui a été énoncé jusqu'ici, j'invite à expérimenter directement et si cela ne fonctionne pas et bien on pourra tout rejeter en bloc et revenir aux fonctionnements habituels. Je demande juste de ne pas juger ce qui est proposé d'un regard lointain élaborant des arguments pour s'éviter d'accueillir.
Tout est ouvert et je suis prêt à échanger avec tous afin d'éprouver ce que j'avance puis ensuite de venir avec moi expérimenter si cela fonctionne ou pas, j'ose ; à vous de voir si cela parle au-dedans de vous …
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Pierre Teilhard de Chardin

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NaissanceDécèsNationalitéProfession(s)Activité(s) principale(s)Distinctions
Pierre Teilhard de Chardin
Foi, religion, croyances ... - Page 6 180px-Pierre_Teilhard_de_Chardin_01

Pierre Teilhard de Chardin.

1er mai 1881
Orcines
10 avril 1955 (à 73 ans)
New York
Foi, religion, croyances ... - Page 6 20px-Flag_of_France.svg France
Prêtre
chercheur, théologien, paléontologue et philosophe
Officier de la Légion d'honneur
Pierre Teilhard de Chardin (/te.jaʁ/ [1], 1er mai 1881, Orcines - 10 avril 1955, New York) était un jésuite, chercheur, théologien, paléontologue et philosophe français.
Scientifique de renommée internationale, Pierre Teilhard de Chardin fut à la fois un géologue spécialiste du Pléistocène et un paléontologiste spécialiste des vertébrés du Cénozoïque. Il est considéré comme l'un des paléoanthropologues les plus remarquables de son époque[2].
Dans le Phénomène humain, il trace, parmi les premiers, une synthèse de l'Histoire de l'Univers selon l'état des connaissances de son époque et dans une optique à la fois évolutionniste et spiritualiste.

Sommaire

[masquer]


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Biographie [modifier]


Pierre Teilhard de Chardin est issu d'une très ancienne famille auvergnate de magistrats originaire de Murat[3], et d'une branche qui a été anoblie sous Louis XVIII. Il est né le 1er mai 1881 au château de Sarcenat, à Orcines dans le (Puy-de-Dôme), quatrième des onze enfants d'Emmanuel Teilhard (1844-1932), chartiste[4], et de Berthe de Dompiere.
En 1899, il entre au noviciat jésuite d'Aix-en-Provence. En 1911, il est ordonné prêtre après quatre ans de séminaire théologique en Grande-Bretagne. Il rejoint en 1912 le Muséum d'histoire naturelle de Paris et y collabore avec Marcellin Boule, paléontologue qui avait étudié le premier squelette entier d'un homme de Néandertal. Entre 1914 et 1919, mobilisé comme brancardier au front dans le 8e régiment de marche de tirailleurs marocains (Médaille militaire et Légion d'honneur), il élabore une esquisse de sa pensée via son journal et sa correspondance avec Marguerite Teilhard-Chambon, sa cousine.
En 1916, il publie son premier essai, La Vie Cosmique, et en 1919, Puissance spirituelle de la Matière, essais qui annoncent son œuvre plus tardive.
De 1922 à 1926, il obtient en Sorbonne trois certificats de licence ès sciences naturelles : géologie, botanique et zoologie, puis soutient sa thèse de doctorat sur les Mammifères de l'Eocène inférieur français et leurs gisements.
Il effectue un premier voyage en Chine en 1923 pour le Muséum d'histoire naturelle de Paris. Dans le désert des Ordos (en) en Mongolie intérieure, Teilhard rédige sa Messe sur le Monde. Au retour de Chine, enseignant à l'Institut catholique, il se voit démis de ses fonctions à la suite d'un texte portant sur le Péché originel qui cause ses premiers troubles avec le Vatican : l'ordre des Jésuites lui demande d'abandonner l'enseignement et de poursuivre ses recherches géologiques en Chine. Il y retourne en 1926 et joue, avec le paléoanthropologue allemand Franz Weidenreich, un rôle actif dans la découverte du sinanthrope et son étude scientifique. Il participe en 1931 à la croisière jaune. Jusqu'à son installation à New York en 1951, Teilhard de Chardin poursuivra une carrière scientifique ponctuée de nombreux voyages d'études : Éthiopie (1928), États-Unis (1930), Inde (1935), Java (1936), Birmanie (1937), Pékin (1939 à 1946), Afrique du Sud (1951 & 1953).
Il a été accusé par Stephen Jay Gould d'être un des responsables de la fraude de l'homme de Piltdown. Il s'avéra par la suite que Teilhard avait été lui-même abusé.
En 1946, le Père Teilhard est promu Officier de la Légion d'honneur au titre des Affaires étrangères en reconnaissance de son brillant travail en Chine.
Il entre en 1950 à l'Académie des sciences.
Pierre Teilhard de Chardin meurt le 10 avril 1955, jour de Pâques, à New York. Un an plus tôt, au cours d'un dîner au consulat de France, il confiait à des amis : « j'aimerais mourir le jour de la Résurrection ».
Noosphère, Christ cosmique et point Oméga [modifier]

Foi, religion, croyances ... - Page 6 220px-The_Vision_of_Teilhard-de-Chardin Foi, religion, croyances ... - Page 6 Magnify-clip
Convergence et divergence selon Teilhard



La théorie de l'évolution de Charles Darwin, la géologie de Vernadsky et la théodicée chrétienne sont unifiées par Teilhard de Chardin en une approche holiste du « phénomène humain » qu'il conçoit comme une étape de l'évolution menant au déploiement de la noosphère, laquelle prépare l'avènement de la figure dite du « Christ Cosmique ».
Le « point Oméga » est conçu comme le pôle de convergence de l'évolution. Le « Christ Cosmique » manifeste l'avènement d'une ère d'harmonisation des consciences fondé sur le principe de la « coalescence des centres » : chaque centre, ou conscience individuelle, est amené à entrer en collaboration toujours plus étroite avec les consciences avec lesquelles il communique, celles-ci devenant à terme un tout noosphérique. L'identification non homogénéisante du tout au sujet le percevant entraîne un accroissement de conscience, dont l'Oméga forme en quelque sorte le pôle d'attraction en jeu à l'échelle individuelle autant qu'au plan collectif. La multiplication des centres comme images relatives de l'ensemble des centres harmonisés participe à l'avènement de la résurrection spirituelle ou théophanie du Christ Cosmique.
Annonçant la planétisation que nous connaissons aujourd'hui, Teilhard développe la notion de noosphère qu'il emprunte à Vernadsky pour conceptualiser une pellicule de pensée enveloppant la Terre, formée des communications humaines.
Par ailleurs, en situant la création en un « point Alpha » du temps, l'Homme doit, selon lui, rejoindre Dieu en un « point Oméga » de parfaite spiritualité.
Le terme de « point Oméga » a été repris par le physicien américain Frank Tipler, apparemment sans allusion au nom de Teilhard (sans qu'on puisse dire si c'est délibéré, ou par ignorance de son origine, ou plus simplement parce que « cela va de soi »).
Hominisation et humanisation [modifier]


Teilhard pense également identifier parallèlement à l'évolution biologique une évolution de type moral : l'affection pour la progéniture se rencontre chez les mammifères et non chez les reptiles apparus de façon plus précoce. L'espèce humaine, malgré ses accès de violence sporadique, s'efforce de développer des réseaux de solidarité de plus en plus élaborés (Croix-Rouge de Dunant, Sécurité sociale de Bismarck... ) : l'évolution physique qui a débouché sur l'hominisation se double d'après lui d'une évolution spirituelle qu'il nomme humanisation. Se demandant d'où vient ce surcroît de conscience, il l'attribue à la croissance également de la complexité des structures nerveuses : le cerveau des mammifères est plus complexe que celui des reptiles, celui des humains plus complexe que celui des souris.
Il s'émerveille également de l'interfécondité de toutes les populations humaines sur la planète, à laquelle il ne voit pas de vraie correspondance dans les espèces animales : au contraire, pour ces dernières, un isolement géographique se traduit à terme par des spéciations :
<BLOCKQUOTE>
D'une part, ces rameaux se distinguent de tous les autres antérieurement parus sur l'arbre de la vie par la dominance, reconnaissable en eux, des qualités spirituelles sur les qualités corporelles (c'est-à-dire du psychique sur le somatique). D'autre part, ils manifestent, sans diminution sensible, jusqu'à grande distance, un extraordinaire pouvoir de se rejoindre et de s'interféconder[5].</BLOCKQUOTE>
Cette particularité de l'espèce humaine interpellera plus tard aussi Jacques Ruffié, professeur d'anthropologie physique au Collège de France.
Évolution et organisation [modifier]


L'évolution se passe ensuite à son avis dans la possibilité des consciences de communiquer les unes avec les autres et de créer de facto une sorte de super-être : en se groupant par la communication, les consciences vont faire le même saut qualitatif que les molécules qui en s'assemblant étaient passées brusquement de l'inerte au vivant.
Toutefois, ce super-être est sans rapport aucun avec le surhomme de NietzscheAinsi parlait Zarathoustra ») dans lequel Teilhard ne voit qu'une extrapolation trop simple du passé, et qui ne tient nul compte du phénomène de communication croissante entre les individus (« La chenille qui interroge son futur s'imagine sur-chenille », résumera Louis Pauwels dans Blumroch l'admirable). Pour Teilhard, ce n'est déjà plus au niveau de ces seuls individus que le processus d'évolution se réalise, et il écrit à ce sujet :

« Rien dans l'univers ne saurait résister à un nombre suffisamment grand d'intelligences groupées et organisées ».
Il y voit non pas Dieu en construction, comme avant lui Ernest Renan et — de façon plus sarcastique — Sigmund Freud dans l'Avenir d'une illusion — mais l'humanité qui se rassemble pour rejoindre Dieu, en cet hypothétique point oméga qui représenterait de facto, et sans tristesse aucune, la fin du Temps.
Position du Saint-Siège sur les travaux de Teilhard [modifier]


Les idées de Teilhard semblaient conforter l'idée de « plan divin » souvent évoquée par l'Église depuis saint Augustin (La cité de Dieu). Par ailleurs, l'idée de l'évolution y était alors admise comme possible hypothèse (il faudra attendre le pontificat de Jean-Paul II pour qu'elle soit considérée en 1996 comme « davantage qu'une hypothèse [6] »). Cependant, le Vatican identifia rapidement un problème grave :

  • L'idée que l'esprit de l'homme (son intelligence et sa volonté libre) puisse apparaître par une simple évolution de la matière est formellement rejetée par le dogme catholique issu de la Genèse. Par contre, les opinions de Teilhard sur l'origine évolutive du corps de l'homme sont laissées à la libre recherche de la biologie.

Le reste est de l'ordre de la discussion théologique:
L'un des deux moteurs de la sélection naturelle est l'élimination systématique à chaque génération des individus en surnombre pour les ressources existantes (élimination signalée par Malthus), et cet écrasement se fait de surcroît dans l'indifférence cruelle qui terrifiait déjà Darwin en son temps et lui avait fait perdre la foi.
Ce point n'était pas contesté. La cruauté de la marâtre nature était connue depuis la nuit des temps. En revanche, on l'avait rattachée au classique problème du mal. La considérer au contraire comme faisant partie du plan divin, s'il existait, constituait un total changement de paradigme, aux antipodes de l'idée même de providence.
Cette préparation du bonheur des successeurs par la souffrance des prédécesseurs semblait certes proche des idées admises de rédemption et de communion des saints. Le monde qui en découlait paraissait cependant bien trop écarté des valeurs évangéliques et de l'idée de bonté divine pour être accepté tel quel.
Le Saint-Siège demanda donc à Teilhard[Quand ?] de suspendre ses publications (non ses recherches), et inscrivit à l'Index jusqu'à plus ample informé ce qui était déjà imprimé.
En 1962, un monitum du Saint-Office met en garde contre ses idées hétérodoxes : « Certaines œuvres du P. Pierre Teilhard de Chardin, même des œuvres posthumes, sont publiées et rencontrent une faveur qui n'est pas négligeable. Indépendamment du jugement porté sur ce qui relève des sciences positives, en matières de philosophie et de théologie, il apparaît clairement que les œuvres ci-dessus rappelées fourmillent de telles ambigüités et même d'erreurs si graves qu'elles offensent la doctrine catholique. Aussi les EEm. et RRv Pères de la Sacrée Congrégation du Saint-Office exhortent tous les Ordinaires et Supérieurs d'Instituts religieux, les Recteurs de Séminaires et les Présidents d'Université à défendre les esprits, particulièrement ceux des jeunes, contre les dangers des ouvrages du P. Teilhard de Chardin et de ses disciples ».
Ses ouvrages furent pour la plupart publiés de façon posthume. Teilhard était mort en 1955.
Ils eurent un certain succès dans les années 1960, puis on commença à oublier un peu ses écrits, même si son nom était cité de temps à autre. Depuis que l'Internet a touché le grand public, son concept de noosphère semble redevenir d'actualité.
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MessageSujet: Re: Foi, religion, croyances ...   Foi, religion, croyances ... - Page 6 Icon_minitimeMer 17 Nov - 22:33




Le mot "mystique" dérive du latin "mysticus" et lui même du grec "mustikos": "relatif aux mystères". Le dictionnaire Larousse dit du terme mysticisme: "Doctrine philosophique et religieuse qui admet la réalité d'une communication directe et personnelle avec Dieu".
Le concept de délire est encore polémique dans la psychiatrie actuelle. Une première définition, peut être la plus répandue, fait du délire "une construction intellectuelle non conforme à la réalité et à laquelle le sujet apporte une croyance inébranlable" (1).
Le D.S.M. IV (2) s'inscrit dans cette optique et définit l'idée délirante comme des "croyances érronées qui comportent habituellement une mauvaise interprétation des perceptions ou des expériences". Mais il signale que la distinction entre le délire et une idée prévalente est difficile à faire et dépend du degré de conviction avec laquelle la croyance est maintenue malgré une claire contradiction avec l'évidence.
LANTERI-LAURA (3) cite la définition de délire d'ESQUIROL: "Un homme est en délire lorsque ses sensations ne sont point en rapport avec les objets extérieurs, lorsque ses idées ne sont point en rapport avec ses sensations, lorsque ses jugements et se déterminations ne sont point en rapport avec ses idées, lorsque ses idées, ses jugements, ses déterminations, sont indépendants de sa volonté". Cette définion met l'accent sur un "état", mais conserve la notion d'"erreur" du jugement.
Pour H. EY (4) le délire est défini par une "modification radicale des rapports de l'individu avec la réalité [...] sous forme de croyances inébranlables, d'Idées délirantes, terme qui s'applique avec toute sa force à cette forme d'aliénation.", mais quand il s'agit de définir l'idée délirante il dit qu'il faut "entendre non seulement les croyances et les conceptions par lesquelles s'expriment les thèmes de la fiction délirante (persécution, grandeur, etc.), mais aussi tout le cortège de phénomènes idéoaffectifs dans lequel le Délire prend corps (intuitions, illusions, interprétations, hallucinations, exaltation imaginative et passionelle, etc.). On ne saurait en effet parler de ces "idées délirantes" comme de simples erreurs de jugement". Il établit une identité entre Idée délirante, Délire et Aliénation de la Personne, pour définir "comme on tend de plus en plus à l'appeler, la Psychose par excellence" (5). H. Ey a, d'autre part, essayé de différencier le Délire, tel qu'on vient de le décrire, et qu'il propose d'écrire avec un D majuscule, de l'expérience délirante aiguë: "... Délire doit être pris au sens fort du mot allemand Whan et dans un sens différent du délire plus ou moins apparenté au "délirium" que nous avons étudié à propos des expériences délirantes" (6), de marquer la distinction entre "... la folie d'un moment et la folie de l'existence" (7). Il rejette donc la définition du délire à partir de l'erreur supposé, pour lui substituer une conception structurale où le thème délirant serait une partie composante.
MALEVAL explicite la définition de LACAN du délire comme "ces immenses bla-bla-bla extraordinairement articulés" dont la signification ne peut être reliée à rien, "puisqu'elle n'est jamais rentré dans le registre de la symbolisation" (8). Cette acception du concept du délire est si précise, selon Maleval, qu'il devrait devenir impropre de parler de "délire onirique", "délire épileptique" ou "délire aigü". Maleval (9) dit qu'"il ne faut pas ignorer que, en une perspective psychanalytique, le terme de délire dans les expressions "délire hystérique" ou "délire onirique", ne parvient pas à être définie d'une manière rigoureuse. L'on ne peut guère le cerner autrement que comme le discours d'un sujet en rupture avec le champ sémantique d'une culture determinée, mais tous les discours répondant à cette définition ne constituent pas des délires, en sorte que l'on ne saurait se dissimuler que l'on ne possède point aujourd'hui la pierre de touche d'une telle rupture". Avec une approche différente, Maleval fait la même différence qu'Henri Ey, concernant ces deux types de délire, et qui repète toute une tradition psychiatrique avec les distinctions entre "vésanie" et "frénésie" ou la question des "délires chroniques" et le "délires des dégénérés".
Comme on peut s'apercevoir facilement, la définition de délire est intimement liée à celle de psychose, et concernant ce concept la situation n'est pas plus claire que pour le premier. GIUDICELLI (10) denonce une confusion entre les deux termes: "Il y a lieu évidement d'érradiquer définitivement la terrible équation délire = psychose, équation redoutable dans ses retombées sur de néfastes étiquetages générateur d'erreurs mortifères quant à la prise en charge de bien de patients".
Le D.S.M. IV (11) ne donne pas de définition de psychose mais nous trouvons dans le glossaire l'adjectif "psychotique". Il est utilisé pour différentes définitions, toutes descriptives. La première, et la plus restrictive, le limite aux idées délirantes et aux hallucinations. Une deuxième définition, moins restrictive selon les auteurs, inclut les hallucinations dont le sujet reconnaît le caractère hallucinatoire (éidolies hallucinosiques d'Henri Ey). Une troisième définition, encore plus large, inclut certains phénomènes schizophréniques dit positifs par les auteurs: troubles du langage, comportement catatonique, etc. Une dernière définition inclut les phénomènes de rupture des "limites du moi" et la défaillance de l'"épreuve de réalité". Les auteurs signalent qu'aucune de ces notions ne fait l'unanimité.
A. TATOSSIAN (12) après un passage en revue de différentes conceptions de la psychose (K. SCHNEIDER, KRETSCHMER, JASPERS et autres) conclut: "Le concept de psychose n'est pas un bon concept descriptif mais cela n'exclut pas qu'il puisse être un bon concept psychopathologique", et il signale parmi les efforts d'ordre psychopathologique pour lui donner consistance, ceux de l'école psychanalytique et ceux de l'école phénoménologique.
Pour Henri EY, nous avons déjà vu l'identité qu'il établit entre le Délire (dans le sens de Wahn en allemand), l'Aliénation de la personne, la "folie de l'existence", et la Psychose par excellence. Dans son Manuel (13) il donne quelques éléments explicatifs de sa conception. Il fait de la psychose une "modification radicale des rapports de l'individu avec la réalité". Ces troubles "portent essentiellement sur la conception du monde". "Le moi est en effet lié à son Monde, et cette liaison "existentielle" est constitutive de la "Réalité" de l'être dans son monde en tant qu'elle est l'ordre dans lequel se déroule son existence. Naturellement par réalité il faut entendre non seulement le monde physique, mais le monde humain de l'environnement et aussi le monde psychique ou intérieur du sujet". "Ce lien est essentiellement constitué par les croyances qui assignent à tous les phénomènes du monde leur signification et leur degré de réalité pour le Moi". L'aliénation de ce lien est pour Henri Ey le Délire: "Non point le délire de l'expérience délirante, le délire vécu sur le registre de l'activité perçue, mais le Délire de la croyance délirante, de l'idée délirante". "Les idées délirantes constituent les thèmes qui expriment le bouleversement de l'existence (Dasein), c'est à dire des rapports du Moi avec son Monde", autrement dit, le registre de la signification, du sens. Il ajoute, en outre, un critère évolutif: "Ce qui caractérise ce "Délire de la personnalité", cette "aliénation de la personne constitutive de son Monde délirant, c'est que les idées délirantes y sont non seulement fixes, mais qu'elles tendent à se développer et à organiser la totalité de l'existence". Un peu plus loin il ajoute qu'il s'agit d'un bouleversement "du système d'organisation, d'unité et d'identification (de l'historicité) de la Personnalité", et à propos de la schizophrénie il signale la place particulière qui doit être réservée aux troubles du langage.
MALEVAL (14) dans son chapitre consacré au concept de psychose, rappelle les impasses de de l'école psychanalytique pour en donner une définition rigoureuse. D'après lui, l'obstacle épistémologique face auquel Freud bute, est celui des rapports entre la réalité et la psychose. Freud caractérise la psychose par la formule "un conflit entre le moi et la réalité", mais plus tard il est contraint d'accepter que "il y a dans la névrose aussi une tentative pour remplacer la réalité indésirable par une réalité plus conforme au désir"(15).
LACAN dégage le concept de forclusion à partir de la "Verwerfung" freudienne et il fait le "trouble moléculaire de la pensée" dans la psychose. Il l'articule non pas par rapport à la réalité, mais par rapport à l'Oedipe et les fondements symboliques du sujet. MALEVAL résume ainsi cette notion: "Si Freud s'est fermement tenu au complexe d'Oedipe, c'est selon Lacan, parce que la notion du père est quelque chose qui lui donne l'élément essentiel, l'élément le plus sensible dans l'expérience, de ce que se saisit comme point de capiton entre le signifiant et le signifié. Ce qui manque au psychotique, et c'est cela la forclusion du Nom-du-Père, c'est un certain nombre de points d'attache fondamentaux entre le signifiant et le signifié, ce minimum de structuration essentielle entre le signifiant et le signifié qui est nécessaire pour qu'un être humain soit dit normal" (16) . "C'est le défaut du Nom-du-Père à cette place qui, par le trou qu'il ouvre dans le signifié amorce la cascade des remaniements du signifiant d'où procède le désastre croissant de l'imaginaire, jusqu'à ce que le niveau soit atteint où signifiant et signifié se stabilisent dans la métaphore délirante" (17).
Ces considérations sont au coeur de notre travail, car l'éventail des phénomènes dits mystiques, traverse tous les registres qui vont des expériences où des sujets cherchent volontairement et laborieusement le contact avec le divin, jusqu'aux catastrophes des délires paranoïdes. Nous allons prendre "délire" dans son acception la plus large, c'est à dire "une construction intellectuelle non conforme à la réalité", et "psychose" dans son sens le plus étroit de "bouleversement du système d'organisation, d'unité et d'identification (de l'historicité) de la Personnalité", ou le manque d'un "certain nombre de points d'attache fondamentaux entre le signifiant et le signifié, ce minimum de structuration essentielle entre le signifiant et le signifié qui est nécessaire pour qu'un être humain soit dit normal".


Depuis toujours il a été reconnu en Occident l'existence d'états pathologiques à l'intérieur des expériences mystiques.
HALPERN-ZAOUI et WINNIK (18) ont voulu trouver dans la Bible des descriptions de troubles mentaux pouvant être interprétés avec nos critères actuels. Ces auteurs rapportent la "maladie" du roi Saül: "Il est écrit qu'il rencontre "une troupe de prophètes"; alors "l'esprit de Dieu le saisit, et il prophétisa au milieu d'eux [...] et devint un autre homme". Et plus loin: "Il ôta ses vêtements et il prophétisa aussi devant Samuel; et il se jeta nu par terre tout ce jour-là et toute la nuit"". Mais, avec prudence, ils s'interrogent à propos de ce cas et d'autres cités dans le texte: "Est-ce là un langage allégorique, une transe spirituelle ou une expérience psychotique? Il est difficile à trancher".
Dans l'Antiquité Gréco-romaine l'oeuvre de SORANUS D'EFESE, médecin grec du Ier siècle après Jésus-Christ traduit par CAELIUS AURELIEN Aurelién dans le Vème siècle, signale la thématique mystique à l'intérieur de cette grande entité de l'époque, la Manie: "Ainsi donc un maniaque se prend pour un moineau, un autre pour un coq, un autre pour un pot en terre, un autre pour une brique; un autre encore pour un dieu ..." (19).
Au Moyen Age, l'intrincation entre psychopathologie et explications théologiques de la pathologie mentale est prépondérante. Cette situation est parfaitement illustré par l'apparition du terme "folie". LAHARIE (20) note à cette période une conception de la folie selon laquelle certains fous sont considérés comme des "envoyés du ciel, des devins, des voyants, des prophètes". Les fols "sont des êtres inspirés, habités par le souffle divin (l'éthymologie latine du mot fou est en l'occurrence, très présente [follis, soufflet pour le feu ou outre gonflée d'air])". SAINT THOMAS D'AQUIN (21) dans sa Somme théologique propose une réflexion approfondie sur la folie et sur les fous d'un point de vue essentiellement moral. Il emploi une terminologie très varié: amentia, insania, stultitia, fatuitas, insipientia, etc.
Le Moyen Age est aussi l'époque des possédés et des exorcismes, des visionnaires, des Fous de Dieu (la Sainte Folie). Des grandes figures féminines surgissent de cette période: HILDEGARDE DE BINGEN, MECHTILDE DE MAGDEBOURG, entre autres. L'Eglise se préoccupe de distinguer, comme l'indiquent les procès de canonisation de l'époque, d'un côté les faux illuminés au psychisme malade, et de l'autre les saints qui bénéficient de grâces excepcionnelles, témoignant de la plus haute intimité avec Dieu.
Laharie (22) rapporte une série de cas dont la nature pathologique est reconnue par les contemporains. Elle cite sous la rubrique "Les faux prophètes et les pseudo-messies" le cas de Tanchelm, prédicateur errant exerçant son activité en Flandre entre 1100 et 1115, qui se prend pour un roi messianique "ayant reçu la plénitude de l'Esprit-Saint", et n'étant, de ce fait, "ni plus petit ni différent de Dieu". Il fait boire à ses disciples l'eau de son bain en guise d'eucharistie et épouse solennellement une statue de la Vierge Marie.
Vers 1145 Eudes (ou Eon), laïc d'origine bretonne surnommé "de l'Etoile", commence à prêcher en plein air, critiquant et rejetant l'Eglise dans des discours exaltés. Il se présente comme le "Fils de Dieu", à la suite d'une interprétation de la phrase "per eundem Dominum nostrum Jesum Christum", qui ne signifie pas pour lui "par le même Jésus Christ notre Seigneur", mais "par Eon Jésus Christ notre Seigneur". Traduit devant le concile de Reims en 1148, il tenait en mains un bâton d'une forme étrange. Intérrogé sur sa signification il dit: "C'est l'objet d'un grand mystère. En effet tant qu'il est comme vous le voyez maintenant, il soutient le ciel de ses deux têtes. Dieu possède alors deux parties de l'univers et me laisse la troisième partie. Mais si j'abaisse jusqu'à terre les deux têtes supérieures du bâton et que je dresse sa partie inférieure, qui est une, pour soutenir le ciel, je garde pour moi les deux parties du monde et je laisse à Dieu seulement la troisième partie".
Laharie rapporte un dernier exemple, celui de Jacob, qui se prétend envoyé par la Vierge. Il fait des miracles, a des visions et se prend pour le Christ.
A la Renaissance, MARSILE FICIN (23), médecin florentin, décrit quatre "fureurs". Ce terme désigne l'envahissement de l'être par une puissance irrésistible, divine ou démoniaque. Il correspond aussi au sens propre du terme "enthousiasme": en proie à un délire divin. Les quatre fureurs de Ficin sont, donc, la fureur poétique, la fureur mystique, la fureur prophétique et la fureur bacchique ou amoureuse. Mais il s'agit plus d'une tentative d'explication psychopathogénique des troubles que d'une description clinique. L'oeuvre de JEAN WIER "De l'imposture des Diables" (24), avec celles d'autres contemporains, commence à ouvrir une brèche dans les explications théologiques des maladies mentales, considérant les possedés comme malades.
C'est à la Renaissance que la MYSTIQUE comme "science des saints" trouve son apogée dans des figures telles comme SAINTE THERESE D'AVILA, SAINT JEAN DE LA CROIX ou ANGELUS SILESIUS. Ils se situent dans la continuité de la Mystique que reconnaît en DENYS L'AREOPAGITE et son ouvrage "Théologie mystique" (écrit vers 500) son fondateur. Ils sont précédés par le rhéno-flamands MAITRE ECKHART, JAN VAN RUYSBROECK et la béguine HADEWYCH D'ANVERS (XIIIème siècle). Notre siècle discute l'appartenance de leurs expériences au domaine de la psychiatrie.
Au début du XIXème siècle, avec la naissance de la psychiatrie contemporaine, ESQUIROL (25) écrit en 1814 un mémoire intitulé "De la Démonomanie". Il y décrit les espèces du genre: théomanie, cacodémonomanie. Il oppose les variations de la "mélancolie religieuse": le délire religieux, gai, audacieux, avec orgueil et exaltation au délire triste, craintif, accompagné de découragement et d'effroi.
En 1882 DELASIAUVE (26), à propos d'un cas d'une jeune fille, qui à la suite d'une sermon sur la damnation éternelle prêché par un prédicateur fameux présente un état d'agitation, hallucinations de la vue, phénomènes d'extase et catalepsie, qui entrainent son hospitalisation, conteste le diagnostic de Renaudin de "Monomanie religieuse": "Certaines monomanies peuvent conduire à l'extase ou en naître, sans qu'on soit autorisés à les confondre avec elle. A plus juste titre, doit on en distraire les phases extatiques que l'on rencontre quelquefois dans les diverses maladies mentales, notamment dans la manie, l'obtusion hallucinatoire, les folies épileptique, hystérique, etc". Il s'agit d'un démembrément du concept esquirolien et la reconnaissance que la thématique mystique peut être transnosgraphique.
En 1891, dans le célèbre chapitre des "Leçons Cliniques sur les Maladies mentales", concernant "Des Délirants chroniques et des Intermittents", MAGNAN (27) décrit les quatre périodes du délire chronique à evolution systématique: 1° incubation; 2° délire de persécution; 3° mégalomanie; 4° démence. Il signale dans ce travail: "l'on voit alors peu à peu le démonopathe de la veille devenir le théomane du lendemain. Avec la mégalomanie, le délire religieux, la théomanie, etc., tout est confusion et le pronostic reste incertain. L'important n'est pas de savoir si le sujet est théomane ou mégalomane, s'il est Dieu ou roi ou président de la République, mais de savoir comment il l'est devenu; de bien établir la marche de la maladie; de savoir si le Dieu ou le roi avant d'arriver à cette suprême puissance n'a pas eu à subir des vexations ou de nombreux tourments. Ce puissant d'abord persécuté se range dans le délire chronique, et, pour le clinicien, cela signifie incurabilité. Au contraire le potentat devenu grand sans épreuves préalables se range dans le groupe des dégénérés, et l'accès délirant est le plus souvent curable". 4) Période terminale ou de dissolution. Ce sont les "déménts".. Magnan met l'accent plus dans les "mécanismes" et l'évolution de la maladie que dans la thématique du délire pour faire un diagnostic et un pronostic. Ses conceptions peuvent être à l'origine de la confusion fréquente entre délire mystique et délire de grandeur qu'on retrouve, même actuellement, dans plusieurs manuels de psychiatrie.
Au XXème siècle des délirants mystiques tels que le Président Schreber ou Madeleine le Bouc, sont le sujet d'ouvrages de FREUD et JANET qui marquent l'histoire de la psychopathologie.

Les rapports entre religion et la formation du Sujet ont été une préoccupation constante pour S. FREUD, comme témoignent certains ouvrages d'une extrême importance dans l'édifice théorique de la psychanalyse: Totem et Tabou, Malaise dans la Civilisation, L'Homme Moïse et la Religion Monothéiste, entre autres. Dans ses Nouvelles Conférences (44), il est très explicite à ce sujet: "une Weltanschauung est une construction intellectuelle qui résout, de façon homogène, tous les problèmes de notre existence à partir d'une hypothèse qui commande le tout, où, par conséquent, aucun problème ne reste ouvert, et où tout ce que à quoi nous nous intéressons trouve sa place déterminée. [...] la Weltanchauung religieuse est déterminée par la sitation de notre enfance. [...] Elle informe sur l'origine et la constitution du monde², elle assure protection et un bonheur fini dans les vicissitudes de la vie. [...] La psychanalyse en conclut que [le Créateur] c'est réellement le père, dans la grandeur où il est apparu un jour au petit enfant. L'homme religieux se réprésente la création du monde comme sa propre origine. [...] Car la même personne, à qui l'enfant doit son existence, le père (ou plus exactement l'instance paternelle, composée du père et de la mère), a aussi protégé en veillant sur lui l'enfant faible et désemparé, exposé à tous les dangers qui le guettent dans le monde extérieur. [...] C'est pourquoi [l'homme] remonte à l'image gardée en memoire du père de l'époque enfantine, qu'il a tellement surestimé; il l'élève au rang de divinité et l'insère dans le présent et dans la réalité. La force affective de cette image de souvenir, et la persistance de son besoin de protection soutiennent ensemble sa croyance en Dieu".
Viktor FRANKL critique le point de vue positiviste de Freud, d'un regard philosophique mais il est contraint d'admettre ce que le regard freudien a de vérité pour le Sujet: "Pour nous, ce n'est pas le Père l'archétype de toute divinité; c'est au contraire exactement l'inverse qui est vrai. Dieu est l'archétype de toute paternité. Le père n'est premier que sur le plan de la génétique, de la biologie, de la biographie. Ontologiquement parlant, la relation "enfant-père" ne fait que reproduire la relation "homme-Dieu", au lieu de lui servir de modèle. Mais il est vrai que sur le plan de la psychologie la première est antérieure" (45). Dans notre travail, nous adoptons le point de vue du Sujet, celui de Freud. ASSOUN (46) accentue cet aspect subjectif du Dieu freudien: "il faut prendre le rapport de l'homme, un par un, à Dieu à partir de cette relation qui se forge à son père, celui de la (pre)histoire personnelle". FREUD noue donc, la question de Dieu avec le père tel qu'il est représenté dans le complexe d'Oedipe, dans la Weltanschauung religieuse.
LACAN articule la question de Dieu et le Père avec celle de l'Oedipe, carrefour structural du Sujet. Il affirme que "la théorie analytique asigne à l'Oedipe une fonction normativante. [...] Il ne suffit pas que le sujet après l'Oedipe aboutisse à l'hétérosexualité, il faut que le sujet, fille ou garçon, y aboutisse d'une façon telle qu'il se sittue correctement par rapport à la fonction du père. Voilà le centre de toute la problématique de l'Oedipe" (47). Il souligne que "la castration est le signe du drame de l'Oedipe" (48), à travers les questions qui se posent pour le Sujet: "c'est une vérité d'expérience pour l'analyse qu'il se pose pour le sujet la question de son existence [...] en tant que question articulée: "Que suis-je là?", concernant son sexe et sa contingence dans l'être, à savoir qu'il est homme ou femme d'une part, d'autre part qu'il pourrait n'être pas, les deux conjuguant leur mystère, et le nouant dans les symboles de la procréation et de la mort" (49). Ailleurs il ajoute: "Le seule qui pourrait répondre absolument en tant qu'il est le père symbolique, c'est lui qui pourrait dire comme le Dieu du monothéisme - Je suis celui qui suis" (50).
A. VERGOTE (51) accentue le versant paternel du Dieu de l'individu: "L'histoire religieuse repète, réassume et accomplit l'histoire originaire de l'humanisation de l'homme. En consentant la parole qui le constitue fils dans la promesse de l'héritage paternel, l'homme accède à la filiation authentique".
C'est donc le signifiant du père symbolique, c'est à dire la fonction paternelle issue du complexe d'Oedipe qui noue pour le sujet, les questions de la sexuation et de la filiation symbolique, de même que dans la religion c'est par Dieu que l'humanité trouve les reponses aux questions de l'existence.
Autour de la question du Père Symbolique, s'articulent les différents destins de l'Oedipe. LACAN cherche dans "ce que la religion nous a appris à invoquer comme le Nom-du Père" (52) la dénomination du signifiant, ou plutôt des signifiants, qui constituent la "métaphore paternelle", issue normativante du complexe d'Oedipe. Lorsque cette métafore vient à manquer, ce qui conceptualise la "forclusion du Nom-du-Père", le sujet établit la "métaphore délirante". CALLIGARIS (53) définit la métaphore délirante comme suit: "le délire serait un "ersatz", un substitut de la métaphore paternelle, à ceci près que, dans le délire, la position paternelle, par rapport à laquelle une filiation délirante s'est constitué, se situe dans le réel" et où la question de la sexuation est toujours présente.
Le délire constitue ainsi une Weltanschauung délirante en tant qu'explication du Monde et de son sens, des origines du Sujet, thèmes noués dans la procréation (sexualité et généalogie). Ce pourquoi, et suivant l'expression de MALEVAL (54), "la question religieuse elle même evocatrice des assises symboliques" peut être traitée très différement selon la position du Sujet face à la question de l'existence. CALLIGARIS fait noter que la crise psychotique "atribuerait à chacun la tâche forcée de fonder sa propre religion (55).
FREUD, à propos d'un délirant mystique, le Président Schreber affirme: "Nous nous retrouvons donc, dans le cas de Schreber, sur le terrain familier du complexe paternel. Si la lutte contre Flechsig finit par se dévoiler, aux yeux de Schreber, comme étant un conflit avec Dieu, c'est que nous devons traduire ce dernier combat par un conflit infantile avec le père" (56).
Le mot MYSTIQUE dérive du latin MYSTICUS et lui même du grec MUSTIKOS: "relatif aux mystères". Le dictionnaire Larousse dit du terme mysticisme: "Doctrine philosophique et religieuse qui admet la réalité d'une communication directe et personnelle avec Dieu".
Le phénomène mystique est avant tout une expérience subjective. VERGOTE (57) note que beaucoup d'hommes "font l'expérience [...] d'une transformation du réel. Une réalité invisible, invérifiable objectivement, invraisemblable avant ce moment fécond, prend la densité d'un réel plus vrai, investit la réalité commune et en transforme la signification. Pareille irruption d'un sur-réel se produit dans le délire, mais aussi dans la conversion religieuse, dans l'illumination philosophique, dans une inspiration poétique".
Les phénomènes mystiques constituent donc, des discours propices à montrer la position d'un Sujet donné face à l'ordre symbolique, à la Loi du Père, à la castration, questions posés par le complexe d'Oedipe.
Vergote fait ressortir les deux versants que nous devons tenir en compte pour une analyse clinique de ces phénomènes: "D'une part, on s'appui sur les signifiants qui médiatisent et fondent la vie religieuse [...]. D'autre part, le caractère privé d'un phénomène pathologique nous invite à le replacer dans le mouvement des intentionnalités singulières qui le constituent".
Dans une perspective clinique, nous mettons l'accent dans la différence entre, d'un extrême la Weltanschauung religieuse, névrose obsessionnelle collective de l'humanité selon Freud, et de l'autre extrême la Weltanschauung délirante, religion privée, dans leurs rapports avec la fonction paternelle, le langage et l'ordre symbolique.
Socrate (58) disait: "Le délire (mania), sais-tu qu'il est de deux sortes, l'une qui est due à des maladies humaines, l'autre à un état divin qui nous fait sortir des règles coutumières?". Saint Bonaventure (59) décrit les six degrés d'élévation vers Dieu: la douceur, le désir insatisfait, le dégoût, l'ivresse, la sécurité et la tranquillité qui débouche sur l'extase. Saint Thomas distingue l'extase (quelqu'un qui est mis hors de soi par l'amour divin) du ravissement (qui ajoute à la précédente une certaine violence produite par la passion), Sainte Thérèse d'Avila et Saint Jean de la Croix enseignent dans ses ouvrages une voie mystique graduelle pour atteindre l'union avec le divin.
Plusieurs auteurs sont d'accord pour laisser en déhors du registre de la pathologie certaines expériences mystiques. LHERMITE (60), BARUK (61) et BARTE (62), parmi bien d'autres, ont consacré des travaux à ce sujet. Mais ils ne sont pas d'accord en ce qui concerne les lignes de départition. Nous résumons ici quelques éléments qui permettent d'affirmer "l'authenticité" de certaines expériences mystiques.
VERGOTE (63) analyse les cas de Thérèse d'Avila, de Saint Jean de la Croix pour montrer en quoi ces expériences ne relèvent pas du registre morbide. Il signale le caractère actif du sujet dans de phénomènes tels que visions et extases, et le complet accord avec leur système de croyance: dans l'expérience mystique il s'agit d'une quête à l'intérieur, "le désir d'union qui sous-tend la quête mystique, vise à la présence immédiate avec l'absolu et à la suppression de toutes les limites. De soi, ce désir entraîne vers une communion où le moi coïncide avec l'infini", ce qui rappele le "sentiment océanique" évoqué par Romain Rolland à Freud.
Concernant les visions des mystiques, constitutives de leurs expériences mystiques, Vergote indique: "Les visions mystiques ne sont pas appelées visions parce qu'elles contiendraient des informations nouvelles. Le contenu religieux n'est autre que celui de la foi; les représentations figuratives, pour leur part sont dérivées des perceptions naturelles. [...] Les visions se donnent à celui qui, à un stade avancé de la voie mystique, dépasse le discours actif de l'imagination et de l'entendement et qui se met dans la disposition d'accueil pour une présence encore lointaine. [...] La vraie extase consiste dans l'union divine permanente, au-delà des visions et libérée des ravissements corporels; on n'y arrive qu'après avoir accompli un long périple réglé par les exigences critiques immanentes à la foi et par celles qui se dégagent de l'examen des facultés humaines: sensation, imagination, affectivité, volonté, connaissance conceptuelle". En ce qui concerne la disposition du mystique: "ce qui nous paraît central [...] c'est qu'il constitue Dieu comme désirable, qu'il développe tout un dispositif pour libérer ce désir, le formuler en vérité, l'accomplir en amour et parfaire la jouissance de cet amour". Et à propos de la vie et de l'oeuvre de Sainte Thérèse il dit: "A notre avis, cette trajectoire réalise bien la sublimation. Un désir impérieux, en incubation dans les rêves de gloire, de domintaion et de plaisir, trouve à s'achever en rejoignant l'Autre grâce au décentrement de soi-même. Invoquer les signes antérieurs d'hystérie pour déterminer le sens de l'oeuvre réalisée, ce serait nier en principe la possibilité d'une sublimation et la différence entre "hystérie réussie" et "névrose hystérique".
GUYOTAT semble d'accord avec Vergote quand il dit, à propos des rapports entre le mystique et l'ordre symbolique, que "... chez le mystique la construction symbolique est toujours rigoureusement respectée que ce soit dans la conception du monde qu'elle évoque ou dans les rites qui permettent d'accéder à l'expérience mystique" (64).
Le Sujet est actif dans son expérience et celle-là est en phase avec son désir et en accord avec un système de pensée, qui est celui de la Mystique. BEAUDE (65) souligne la promotion de la communion avec le divin comme objet de désir: "L'amour de Dieu est impossible si Dieu lui-même ne l'accorde et ne l'infuse. "ce n'est pas moi qui aime, c'est Dieu qui aime en moi". [...] Aimer Dieu consiste donc, à se livrer à lui pour être l'instrument pour lequel il sera aimé comme il veut et doit l'être".
Henri EY (66) compare l'expérience esthétique, l'expérience mystique et l'expérience psychédélique: "Tous les auteurs (et les mystiques eux-mêmes) sont d'accord pour saisir ce qu'il y a de commun à ces expériences qui toutes commencent par l'anéantissement volontaire, laborieux ou instantané du monde de la réalité, par l'éclipse de la raison. [...] La différence elle est [...] dans le sens et la fonction de ses expériences dans l'existence. [...[ Chez le saint, c'est la sublimation qui porte à son plus haut degré de trascendence, au niveau d'une existence librement orientée, les sources intuitives qui constituent pour lui ses expériences mystiques, ses extases".
Nous utilisons ici le terme délire dans un sens large, celui qui l'apparente plus ou moins au "délirium" et que pour Henri EY permet de marquer la distinction entre "... la folie d'un moment et la folie de l'existence", celle-là définie par "Délire" (avec D majuscule). D'un point de vue nosographique ce sont ces expériences délirantes aiguës dont l'évolution et certains points de la clinique montrent qu'elles ne font pas partie du groupe des psychoses chroniques. Ces expériences sont fréquentes. SCHERRER (67) estime que 28% des Bouffées Délirantes Aiguës guérissent après un accès unique et 8% se stabilisent sur un mode névrotique, rejoignant ainsi les travaux classiques d'Henri Ey, de Manfred Bleuler et de Laboucaire. Plusieurs auteurs ont fait d'essays psychopathologiques sur le sujet: FOLLIN (68), JEANNAU (69) et MALEVAL (70) entre autres.
Nous analysons, dans un premier temps que sépare ces expériences des des "vraies" expériences mystiques.
Dans grand nombre d'expériences délirantes aiguës la thématique mystique est très fréquente. Henri EY, dans son Etude N° 23 consacré à l'étude des Bouffées délirantes, signale ceratins aspects cliniques: "l' "extase" et le "ravissement" jaillissent là comme des fausses expériences mystiques [...]. Le paradis, l'infini et l'éternité constituent l'horizon crépusculaire où se fond le monde de la réalité. C'est naturellement à l'aide des reminiscences de la Bible, des legendes dorées, de l'iconographie des catéchismes, des fastes liturgiques, ou encore, en se rémémorant les mythes, les prophéties ou les miracles, ou bien, plus naïvement, à l'aide des images de la Première Communion ou des illustrations de missels, quand est impossible le recours aux souvenirs esthétiques où se mêlent les émotions musicales et architecturales des grands chef d'oeuvres religieux, -c'est à l'aide de toutes ces images d'Epinal, de ces figurations et de ces élans de la foi ou de l'art vers Dieu que se construisent ces merveilleuses expériences. [...] L'expérience érotique constitue également un événement extrêmement fréquent de cette forme de délire. Souvent mêlée à la jouissance "mystique" de l'Objet et à le toute puissance de la possession "divine", elle est vécue selon toutes les formes et parfois les plus lascives de la volupté". (71).
Dans ces cas, le désir est traité différement que lors des authentiques expériences mystiques. Il n'est point question de sublimation ni d'existence librement orientée. Autres mécanismes sont en place. VERGOTE signale: "On pourrait dresser une table de correspondances entre ces représentations érotico-mystiques et les fantaisies lointaines, au bord des phantasmes que l'on relève parfois dans l'hystérie débutante. [...] Dans les cas considérés leur franche percée dans le vécu profitent des thèmes mystiques qui circulent dans le milieu, pour laisser parler le corps de désir. On peut supposer, en effet, que dans les signifiants mystiques, ces sujets entendent comme un langage thérapeutique qui permet la levée du refoulement par l'investissement direct des représentations substitutives" (72).
Vergote illustre ses propos avec l'exemple de deux "mystiques érotiques", selon son expression. La première, Agnès Blannbekin, née à Vienne à la fin du XIIIème siècle, se préoccupe de savoir qu'est advenu le "Saint Prépuce". Son confesseur, le franciscain Ermenic, rapporte qu'une certaine année Agnès "sentit sur sa langue une petite pellicule comme la pellicule d'un oeuf, qui était d'une douceur plus grande et elle avala cette péllicule. Après l'avoir avalée elle ressentit de nouveau cette extrême douce pellicule sur la langue comme auparavant, et elle la ravala. Et cela lui arriva bien cent fois. La douceur produite par la digestion de cette pellicule fut si grande qu'elle sentit une douce transformation dans tous ses membres et dans toutes ses articulations". Le seigneur la gratifia encore de nombreux attouchements, tendres et pudiques, par sa main ou par un agneau qui venait de l'autel. La deuxième, Marie Alacoque (qui vécut au XVIIème siècle), reçoit les visitations d'un Jésus qui l'aime "à la façon des amants les plus passionnées. [...] Les caresses de son amour furent si excessives, qu'elles me mettaient souvent hors de moi-même, et me rendaient souvent incapables de pouvoir agir". "Toute l'attention se centre sur les sensations corporelles immédiates. Le corps érogène se referme sur les plaisirs qui s'y épanchent et caressent toutes le pulsions libidinales dispersées. La jouissance se limite à celle, narcissique, d'être particulièrement élue pour recevoir toutes ces gracieusetés. Au fond, la mystique n'est ici qu'un prête-nom pour un mysticisme auto-érotique" (73).
Le sujet reste passif face à ses phénomènes: "Comparée à l'hallucination névrotique, la vision mystique présente un même processus de mise en imaginaire spontanée des pensées. Ce qui les distingue radicalement, c'est que chez le mystique les pensées conscientes sont en avant de l'imaginaire qu'elles récupèrent; dans l'hallucination névrotique, les pensées refoulées se retirent derrière les délégations imaginaires qu'elles envoient à la conscience surprise et déroutée. Le névrosé subit la violence de sa compulsion à halluciner" (74).
Nous reconnaissons ici l'expérience de notre patiente JUDITH: "C'est comme Moïse ... les coïncidences sont frappantes ... tout se déroulait comme dans un film ...". A partir de ce moment elle errre dans la ville avec un sentiment de toute puissance: "je pouvais tuer les gens juste avec mes mouvements", manifeste hallucinations cénéstésiques "... c'était comme des baisers sur le corps". Vergote fait noter que "l'hystérie religieuse, en déplaçant les désirs non transformés sur les réalités surnaturelles, clame hautement ses représentations refoulées et lorsqu'elle commence le travail de la sublimation, elle leur donne même le corps visible du séducteur". C'est avec la mise à distance de son crépuscule que JUDITH peut aborder son histoire personnelle, l'épisode douloureux du décès de son père, et les questionnements autour de la féménéité.
Un certain nombre de repères cliniques permet de distinguer ces "folies du moment" des délires mystiques des psychotiques, qui constituent la "folie de l'existence".
FOLLIN nous rappelle que le drame de l'hystérique est celui de l'identité de son personnage, tandis que le schizophrène vit celui de l'existence de sa personne: "La thématique est toujours dramatique, comme mise en question du sujet en tant qu'il est quelqu'un dans sa filiation et dans son désir d'être reconnu comme objet du désir de l'autre, et parfois même dans sa sexuation proprement dite. Mais, à la différence [...] d'une mutation schizophrénique, il n'est jamais mis en question lui-même comme sujet, comme existant en soi" (75). Les hallucinations cénéstésiques que présente JUDITH sont vécues dans le plaisir érotique, "des baisers sur le corps", d'un Autre bien consistent.
F. PERRIER signale que dans les délires hystériques rien n'est forclos: "La dramatisation ne se recoupe pas de discordance paranoïde. Elle reste présence de l'autre et appel à lui. Il suffit d'une météorologie relationnelle favorable pour que la tempête n'apparaisse plus, après coup, que giboulée de printemps. Le délire hystérique n'était en quelque sorte qu'une orgie de désidentification; l'extase tenant lieu d'expérience orgastique" (76). Dans le cas de notre patiente, les fondements symboliques de son être ne sont pas atteints, et on assiste à une récupération rapide.
Pour MALEVAL, le délire sans forclusion est une des formes de la "folie hystérique" et les hystériques mystiques constituent des exemples éléctifs pour ses conceptualisations: "Le délirium est un paroxysme d'inquiétante étrangété. Il naît quand l'objet perdu cesse de se dérober. La figure de cauchemar par laquelle il se présentifie, Dieu vengeur, Démon, Sphinx, vampire, voire machine à influencer ou tourmenter le réel, localise la jouissance du sujet en un point d'angoisse, révélant par là une persistence de la correlation entre l'objet a et le signifiant phallique, confirmée par la possibilité de mobiliser dialectiquement les symptômes. [...] Les illusions visuelles et verbales suscitées par le retour du refoulé ne sont pas rares dans la grand névrose, que l'on se souvienne par exemple des propos et des visions perçues par les mystiques. [...] On constate qu'elles ne présentent pas le caractère d'implacable pousse-à-jouir propre au surmoi primitif, qui tend à se sonoriser quand le Nom-du-Père fait défaut" (77).
Selon Maleval, le fondement de la folie hystérique "se trouve [dans] le déficit de l'imaginaire, le démantèlement de la consistance du moi; en sorte que la fascination en miroir, les phénomènes de morcellement du corps propre, la captation par l'image du double constituent le lot commun de cette pathologie. [...] Les extases que présentent certaines hystériques paraissent relever d'une régression [...] archaïque [...] qui permettrait qu sujet de connaître une sorte d'état foetal. [...] Les macérations des mystiques de toutes religions, l'ascétisme, constituent une autre voie d'accès aux hallucinations et aux délires oniriques: combien de shamans, de yogis ou de personnages sanctifiés passeraient pour schizophrènes! (78).
JUDITH présente ce type de phénomènes de captation imaginaire: elle parle de son accompagnatrice en termes de "mon double, ma moitié", et c'est la prégnance imaginaire de cette femme qui lors de l'épisode de l'auberge déclenche ses troubles.
"Dans le délire hystérique, l'on assiste à une exhubérance de l'imaginaire qui ne porte pas atteinte aux fondements symboliques du parlêtre: la syntaxe se trouve pour l'essentiel respectée, les mots ne s'y délitent pas, et les créations néologiques n'y tiennent pas close le discours sur la signification elle-même", dit Maleval (79). A aucun moment, dans les troubles de Judith, il a été question de troubles du langage ou de l'identité de sa personne, mais bien plutôt de l'identité de son personnage.
CALLIGARIS affirme qu'il est fréquent que des jeunes juifs effectuant leur voyage initiatique en Israël, présentent des épisodes confusionnels, crépusculaires graves: "un signifiant maître de la filiation est resté porprement traumatique, pour avoir produit un effet Réel [...], là où une signification était esperée" (80). Pour Judith, la question de la filiation se joue autour de la question de la religion (qu'on se rappele du délire de persécution de son père), et son voyage en Israël s'inscrit dans une recherche d'identité pour son personnage, interrogeant du même coup son être-de-femme.
Dans les "délires mystiques non psychotiques" la thématique mystique permet l'expression de conflits oedipiens refoulés, en particulier en ce qui concerne les coordonées essentielles, sexualité et filiation, mais avec respect de l'ordre symbolique du langage, de la castration et de la dette symbolique à l'égard du père.
Le Délire (écrit avec majuscule comme le souhaitait H. Ey), qui se produit par cette structure propre à la psychose qu'est la forclusion des signifiants élémentaires, conceptualisée par la forclusion du Nom-du-Père, est une Weltanschauung, et tout naturellement peut prendre le thématique religieuse pour s'exprimer. CALLIGARIS rappelle que la crise psychotique "atribuerait à chacun la tâche forcée de fonder sa propre religion" (81). Mais cette "religion" n'a rien à voir avec la névrose obsessionnelle collective de Freud. Comme le dit Vergote "les formes pathologiques de la religion présentent un caractère privé" (82).
La thématique mystique exprime dans ce cas le bouleversement de l'existence d'un individu qui est en question lui-même comme sujet, comme existant en soi. Ainsi, VERGOTE signale: "De sérieuses entorses au langage dénotent une certaine mesure de perte ou l'absence d'avènement du monde commun et de la communication intersubjective. L'analyse du langage propre sera ainsi révélatrice de la nature délirante de certaines expériences qui se présentent comme mystiques" (83).
MALEVAL souligne l'existence de troubles du langage dans la psychose: "Dans le délire du psychotique, le déficit de la dimension symbolique se révèle en une destructuration de la chaîne signifiante qui peut se manifester par des mots coupés, des associations par assonances, des termes qui manquent dans la phrase, des tournures ou des rythmes syntaxiques particuliers, etc. Le délire psychotique est une destructuration de la chaîne signifiante, tandis que le délire hystérique est un bouleversement de la signification" (84). Le cas de MANUEL nous fournit un exemple: "Je suis Dieu ... à 5 ans j'étais déjà prophète ... j'attend le pouvoir de l'état de ...... Je suis Dieu, mais je n'ai pas encore le pouvoir ... Je suis Dieu, je suis le fils de Dieu, Jésus et Mohamed sont des imposteurs ... Jésus et le sperme, Mohamed et Vercingétorix ... ce sont les couilles droites et gauches, les frères imposteurs. Je me suis rendu compte que j'était Dieu à 5 ans ... j'étais une fille ... ma vie n'avait pas de sens parce que je ne pouvais pas rester au Portugal ... Je me suis rappellé que j'était Dieu en prison ... j'ai déjà jugé les hommes, comment vont-ils me juger?". Les signifiants mystiques ne sont plus en rapport avec un contenu religieux mais avec une problématique de l'être de notre patient. Le signifiant Dieu permet de répondre à la question de la filiation mais en dehors de toute généalogie, des lois symboliques des hommes. Les troubles du langage sont prépondérants: autour du signifiant juger se produit un noeud de signification qui arrête son discours, un noyeau d'inertie dialectique, un néologisme sémantique; son langage teinté d'hermétisme. Les chiffres ont aussi pour lui une signification personnelle: quand il évoque son séjour en prison il affirme que "vis-à-vis de Dieu et de Jésus" il portait le numéro 363, qui "signifie l'Islam, car elle est la troisième réligion". Tout se ramène à l'entonoir que constitue pour lui la question de la filiation posée non en tant que désir de reconnaissance mais en tant qu'énigme.
La question de la jouisssance marque d'importantes différences entre le délire psychotique et les divers états mystiques. LACAN le souligne à propos de Schreber: "Une perspective qui n'isole pas la relation de Schreber à Dieu de son relief subjectif, la marque de traits négatifs qui la font apparaître plutôt mélange qu'union avec l'être à l'être, et qui dans la voracité qui s'y compose avec le dégoût, dans la complicité qui en supporte l'exaction, ne montre rien, pour appeler les choses pour leur nom, de la présence et de la joie qui illuminent l'expérience mystique" (85). Chez MANUEL nous trouvons présente la thématique sexuelle, mais sans l'érotisation ni le plaisir que nous trouvons chez JUDITH: "Il faut que je trouve une femme pour m'aider à devenir Dieu. Elle me fera l'amour, puis elle m'enlevera la dernière vertèbre pour faire couler le liquide de la vie qui va me libérer... Je dois trouver une femme pour qu'elle m'enlève le poison contenu dans mon corps en faisant l'amour avec moi. C'est de cette façon que je vais acquerir le pouvoir. Grâce à elle, je deviendrai Dieu et elle, déesse. Je dois trouver deux déesses: une pour l'amour et l'autre pour la beauté". GABRIEL cherche à se marier avec une cousine "une métisse dont la mère est Française et non Africaine ... Je cherche et je trouverais la pureté en elle". Comme le dit MALEVAL, "Ce n'est pas l'insoluble énigme de la jouissance qui fait la souffrance du psychotique: c'est la question de l'être qui le tourmente" (86).
La thématique mystique est présente dans les troubles de la perception communs aux délires mystiques des psychotiques, aux expériences mystiques et aux délires hystériques ou épileptiques. Différentes positions du Sujet face à l'ordre symbolique sont repérables dans ces phénomènes. VERGOTE (87) dit à ce propos: "L'hallucination psychotique, religieuse ou non, appartient à une structure radicalement différente. [...] Du monde partiellement aboli subsiste le langage comme ensemble de signes qui ne remplissent plus les signifiés [...]. Dans un effort pour restituer son contenu de réel au langage vide, le sujet essaie de donner aux mots les choses qui leur manquent [...]L'hallucination psychotique apparaît dans le réel, là précisement où celui-ci n'existe pas pour le sujet. Invoqué par la puissance oraculaire du langage, le sujet veut poser un réel au-dessus du réel aboli": pour GABRIEL la résonance hallucinatoire du verset corannique qui dit "Allez vers Pharaon" n'a plus de rapport avec l'ensemble que constitue l'Islam, s'impose à lui dans le réel, et le pousse vers un passage à l'acte qui restitue du sens à cette phrase: il est interpellé au Louvre lors qu'il casse la momie d'un pharaon.
"Dans la névrose, poursuit Vergote, au contraire, les représentations refoulées de choses cherchent à se dire dans les mots qui devraient lever l'occultation": les "baisers sur le corps" de JUDITH sont un accueil de l'Autre dans le plaisir et la joie proche de l'extase. La thématique mystique permet, dans les deux cas, d'exprimer problématiques complètement différentes.
MALEVAL propose d'appeler "illusions" ces manifestations du réél dans la névrose et qui sont indépendantes de la forclusion: "les illusions visuelles et verbales suscitées par le retour du refoulé" (88). Les comparant aux hallucinations psychotiques, il différentie leur mécanisme: il s'agit "dans le premier cas [d']un drame de l'imaginaire, de la fonction spéculaire, dans le second, [d']un marasme du symbolique, de l'articulation signifiante" (89).
Henri EY (90) met l'accent dans la perte de la dimension intersubjective de l'hallucination psychotique: "De même [que la vision hallucinatoire], l'hallucination auditive n'est pas un phénomène sensoriel de sonorité ou d'esthésie acoustique, de timbre de tonalité, c'est une modalité de coexistence avec autrui qui implique une altération des rapports de la pensée et du langage (en tant qu'existence et action personnelles) avec la pensée et le langage des autres (en tant que foyers ou vecteurs intentionnels de leur existence propre". Pour lui l'hallucination psychotique relève de "l'intrusion de l'Autre en soi".
La question de la filiation et les délires mystiques se nouent en divers points, mais tous convergent dans la figure de Dieu-le-Père et la métaphore paternelle. Que cette métaphore soit bien établie avec la fonction paternelle symbolique en place, alors les différentes positions du Sujet à son égard vont structurer le champ névrotique. Mais quand la fonction paternelle manque à être symbolisée, elle s'impose dans le réel pour réaliser la métaphore délirante, et c'est la psychose. Dans toute problématique délirante la question de la filiation est présente. La Weltanschauung religieuse répond à la question des origines du sujet, la Weltanschauung délirante à la question de la filiation.
GUYOTAT propose étudier les délires mystiques "comme des délires de filiation divine qui peuvent alterner avec une filiation démoniaque et les étudier du point de vue de la psychopathologie du lien de filiation" (91).
Michel STEYAERT, dans son livre sur les rapports entre hystérie et psychose, dit: "Le délire hystérique est un délire de filiation à thèmes érotico-mystiques prévalants, qui trouve son origine dans un trouble de l'organisation oedipienne et de la filiation instituée. [...] Ce qui est prévalent dans le délire des malades (femmes) est une problématique paternelle avec le désir très clair et parfois exprimé d'avoir un enfant du père" (92). Nous dirons que, plus qu'un délire de filiation, c'est un délire par rapport au père ou la dimension de la dette symbolique est présente. La fonction paternelle n'est pas forclose.
Dans la recherche de son personnage, JUDITH part en Israël afin de donner sens à "être juive" et elle retrouve un Moïse à qui elle s'identifie dans la jouissance érotique et tout-puissante de son expérience délirante. Avec la mise à distance de son vécu, elle aborde le décès de son père par immolation, ce père persécuté dans son délire à cause de la judéïté de sa femme. Il persiste pendant un certain temps l'idée d'être enceinte, après son expérience en Israël. La problématique de la filiation est présente. Elle se trouve derrière les métaphores de son expérience, qu'emprunt la thématique religieuse pour venir à jour.
Dans les délires psychotiques, la fonction paternelle s'impose dans le réel, avec son corollaire d'angoisse et pousse le sujet à répondre de sa filiation. Le délire apparaît comme réponse à cette question ouverte dans le symbolique, et constitue pour le sujet une filiation délirante. LACAN dit à propos de Schreber: "Moyennant quoi, [...] les jaculations divines feront entendre leur concert dans le sujet pour envoyer le Nom-du-Père se faire f... avec aux fesses le Nom de D... et fonder le Fils dans sa certitude [...]" (93).
Le délire de MANUEL exprime crûment les rapports entre Dieu et le Père: "Je suis Dieu, je suis le fils de Dieu ... Je suis fils et père, je suis mon père, je suis le père de ma mère ... Normal!, j'étais le mari de ma grande-mère. [...] Mon père génital ce n'est pas mon père. Il avait son spermatozoïde dans un sac en plastique et il l'a sorti quand il est mort et il l'a donné à ma mère. Ma mère m'a fait. J'ai dû venir pour être le fils. Si je ne suis pas Dieu, je suis mort, j'ai un poison à coté de l'anus. [...] Mon père est mort, il a été assasiné par un homme de la cité au Portugal. Il a été suicidé (sic) il y a longtemps. Je n'étais pas encore né. Je suis Dieu mais je suis aussi le père. Mes parents doivent le savoir. Mon père fait de sous-entendus, ma mère doit le savoir, mais je ne leur ai pas en parlé". Le signifiant Dieu, presque vide de toute référence religieuse, est là pour tenter d'arrêter l'anéantissement de l'être de notre patient dû au processus psychotique. La constitution de la métaphore délirante mystique comme suppléance de "ces signifiants essentiels pour qu'un être humain soit dit normal" qui constituent la fonction paternelle est ici explicite.
GABRIEL construit aussi une métaphore délirante mystique pour palier l'absence de fonction paternelle dans le symbolique: "Je suis un descendent de Noé ... Je suis noir car j'ai été puni par Dieu. Je suis un descendent du prophète de part de ma grand mère paternelle mais mon père n'est pas au courant. Je ne suis pas Dieu, mais je pourrait l'être, j'aurais bientôt sa puissance ... Je n'ai pas d'attache, je n'ai plus d'attache! Ma carte d'identité et ma carte orange me servent de réference; il me manque le pilier. J'erre dans ma tête ... Je cherche, la religion me rassure, me pose ... ". Dans l'errance psychotique, GABRIEL trouve ses points d'attache dans le Coran, trouvant une réponse à la question de sa filiation. Il est intéressant de noter que pendant toute son hospitalisation il a tenu à être appelé par un nom fictif, nom où il avait substitué un n au m du sien.
"L'on voit alors peu à peu le démonopathe de la veille devenir le théomane du lendemain". Avec cette affirmation, MAGNAN (94) illustre le passage de la phase de persécution à la phase mégalomaniaque dans l'évolution des délires chroniques à évolution systématisée.
Les délires démoniaques manifestent de façon prépondérante le versant persécutif de la problématique de la filiation. GABRIEL manifeste des idées de possession par les Djins, des idées de possession diabolique, des voix maléfiques avec ménace de châtiment imminent, des attitudes de prière permanentes pour lutter contre l'esprit du mal. C'est avec la révélation par Dieu qu'il est le "descendent du prophète" que GABRIEL sent "le diable quitter mon corps" et des sensations de "purification d'idées négatives".
Mais Dieu peut être tout aussi persécutif. FREUD (95) nous rapporte que le Président Schreber avait "la ferme conviction que Dieu - lequel porte du reste des traits manifestes de son père [...] - avait pris la résolution de l'émasculer, de l'utiliser comme femme et de faire naître de lui des humains nouveaux d'esprit schrébérien". Dans ce même travail Freud rappelle l'ambivalence de la relation au père originaire de l'enfance: "Cette même ambivalence domine, selon nous, la relation de l'espèce humaine à sa divinité. [...] Point n'est besoin d'une grande perspicacité analytique pour deviner que Dieu et diable étaient à l'origine identiques. [...] Le père serait donc pour l'individu l'image originaire tant de Dieu que du diable".
Calligaris articule l'aspect persécutif de la fonction paternelle avec la question de la dette: "La dimension persécutrice de la fonction paternelle, n'a rien d'étonnant puisque - même si la construction d'un délire résout la question d'une possible filiation - l'éxigence paternelle continue à être formulée dans le réel, confrontant le sujet avec une dette qui fût inventée pour être payée en monnaie symbolique, mais dont le remboursement n'en finit pas d'être exigé" (96).
La dimension mégalomaniaque du délire mystique n'a rien de spécifique. Elle l'est de tout délire, en tant que formation du narcissisme. Comme dit Henri EY: "L'expansion mégalomaniaque est immanante à notre nature. [...] Dans ce bouleversement de la structure des rapports moi-monde que représente toute maladie mentale, l'inversion des rapports dans le sens de l'expansion, de la confiance, de la mégalomanie est une manifestation de la vitalité subsistante. [...] L'idée de grandeur va circuler à travers toute la pensée délirante soit à titre d'implication dans le thème principal, soit au contraire comme énoncé thématique majeur, ou en tout cas, comme une des deux dimensions nécessaires à tout délire pour autant qu'il se situe dans le jeu de la retraction ou de l'expansion du moi" (97).
Si, comme le fait MAGNAN, nous différencions les persécutés des mégalomanes, une grande partie des délires mystiques ne peut pas être subsumée dans les délires mégalomaniaques.
Par contre, l'identification divine, caractéristique pour Magnan de la phase mégalomaniaque, indique la réponse délirante à la question de la filiation, l'établissement d'une filiation délirante, manifestation de la vitalité subsistante, selon H. EY. La métaphore délirante mystique montre la stabilisation entre signifiant et signifié mettant un point d'arrêt à la cascade de remaniements du signifiant produite par ce trou du symbolique qu'est la forclusion de la fonction paternelle.
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MessageSujet: Re: Foi, religion, croyances ...   Foi, religion, croyances ... - Page 6 Icon_minitimeMer 17 Nov - 22:43

31 mars 2005

Mystique chrétienne et mystique Nouvel Age


Pour les chrétiens, la vie spirituelle s’inscrit dans un rapport chaque jour plus profond avec Dieu qui éclaire en même temps notre rapport avec le prochain, hommes et femmes, et avec l’univers.
La spiritualité, dans l’optique du Nouvel Âge, consiste à expérimenter des états de conscience dominés par un sentiment d’harmonie et de fusion avec le Tout. Ici, le terme “mystique” ne se réfère pas à la rencontre d’un Dieu transcendant dans la plénitude de l’amour, mais à l’expérience, provoquée par le retour sur soi, une sensation grisante de s’abandonner, de ne faire plus qu’un avec l’univers, de s’immerger dans le grand océan de l’Être.
Cette distinction fondamentale est évidente à tous les niveaux de comparaison entre mysticisme chrétien et mysticisme Nouvel Âge. Pour ce dernier, la voie de la purification consiste dans la prise de conscience d’un malaise ou aliénation, qui peut être surmonté par l’immersion dans le Tout. Pour se convertir, il faut faire appel à des techniques portant à l’illumination, une expérience qui transforme la conscience des individus en les mettant en contact avec le divin, conçu comme l’essence la plus profonde de la réalité.
Les techniques et les méthodes proposées par ce système religieux immanentiste, qui ne conçoit pas Dieu comme une personne, procèdent “du bas”. Bien qu’elles comportent une descente dans les profondeurs du cœur ou de l’âme, elles n’en demeurent pas moins l’entreprise essentiellement humaine d’un individu qui cherche à s’élever jusqu’à la divinité par ses propres forces. Il s’agit souvent d’une “élévation” de la conscience vers ce qui est considéré comme la découverte libératrice du “dieu intérieur”. Tous n’ont pas accès à ces techniques, dont les bienfaits sont réservés à une ’aristocratie’ spirituelle privilégiée.
L’élément fondamental de la foi chrétienne est au contraire la descente de Dieu parmi les créatures, et en particulier les plus humbles, les plus faibles et les moins doués aux yeux de ce “monde”. Il existe des techniques spirituelles qu’il est utile d’apprendre, mais Dieu peut les contourner ou s’en passer. La méthode chrétienne pour s’approcher de Dieu ne fait appel à aucune technique, au sens strict. Ce serait contraire à l’esprit d’enfance recommandé par l’Évangile. Le coeur de la mystique chrétienne authentique n’a rien à voir avec la technique : elle est toujours un don de Dieu, dont celui qui le reçoit sait qu’il est indigne.
Pour les chrétiens, la conversion est un retour au Père, par le Fils, avec docilité à la puissance de l’Esprit Saint. Et plus ils progressent dans leur rapport avec Dieu, qui est toujours et dans tous les cas un don gratuit, plus ils éprouvent le besoin de se détourner du péché, de la myopie spirituelle et de l’infatuation qui font obstacle à l’abandon confiant à Dieu et à l’ouverture au prochain.
Toutes les techniques de méditation doivent être épurées de toute présomption et prétention. La prière chrétienne, loin d’être un exercice d’auto-contemplation, de sérénité et de vide intérieur, est un dialogue d’amour qui nécessite une attitude de conversion, un exode du “moi” vers le “Tu” de Dieu. Conduits par elle à l’abandon chaque jour plus total à la volonté de Dieu, nous sommes invités à une profonde et authentique solidarité envers nos frères.
Devant la tendance à confondre psychologie et spiritualité, il convient de bien souligner qu’une grande partie des techniques de méditation employées aujourd’hui ne constituent pas une prière. Elles sont souvent une bonne préparation à la prière, et rien d’autre, même si elles produisent une amélioration de l’humeur ou du bien-être physique. Les expériences qui en découlent sont effectivement intenses, mais rester à ce niveau équivaut à rester seul, à ne pas être encore en présence de l’autre. L’expérience du silence peut nous placer face au vide, au lieu d’être une contemplation silencieuse du Bien-Aimé. Il est vrai que les techniques d’immersion au fond de notre âme sont, en définitive, un appel à notre capacité d’approcher le divin ou même de devenir divin. Mais si elles ignorent le fait que Dieu est lui aussi à la recherche du cœur humain, elles ne sont pas encore une prière chrétienne.
Même quand cette expérience est vécue comme une union avec l’Énergie universelle, ce “rapport” trop facile à un Dieu dont la seule fonction est de satisfaire tous nos besoins met en lumière l’égoïsme qui est au cœur du Nouvel Âge. Les pratiques Nouvel Âge ne sont pas une vraie prière parce qu’elles mènent généralement à l’introspection ou fusion avec l’énergie cosmique, à la différence de la double orientation de la prière chrétienne qui, tout en pratiquant l’introspection, est avant tout rencontre de Dieu. Même quand il est seul et prie dans le secret, le chrétien a conscience de prier toujours en union avec le Christ, dans l’Esprit-Saint, en union avec tous les saints, pour le bien de l’Église
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MessageSujet: Re: Foi, religion, croyances ...   Foi, religion, croyances ... - Page 6 Icon_minitimeMer 17 Nov - 23:58

Les protestants et la mystique


<BLOCKQUOTE>Nous assistons de nos jours à une redécouverte, y compris au sein du protestantisme, de la tradition mystique. La revalorisation de cette forme de spiritualité correspond bien à l’attente religieuse de beaucoup de nos contemporains. Elle vient également combler une place laissée trop longtemps en jachère dans le protestantisme moderne. Certains toutefois voient avec méfiance ce « retour du refoulé » et refusent, au nom de la Parole et de l’Écriture, toute forme de mystique, jugée par trop individualiste, subjective, émotionnelle, quand ce n’est pas franchement païenne. Il y aurait, selon ces théologiens, incompatibilité entre le protestantisme et la mystique ; tout accueil bienveillant de cette forme de spiritualité serait donc déjà une atteinte à la pureté de la foi réformée.
Je vous propose d’abord de voir d’où vient ce refus, et qu’il naît d’un profond malentendu sur la définition de la mystique. Puis, nous ferons un parcours historique, avec trois figures marquantes de la spiritualité protestante : Luther, le Père de la Réforme, qui a une attitude ambivalente vis à vis de la mystique ; Jacob Böhme et enfin Gerhard Tersteegen. Nous verrons ainsi comment le protestantisme peut intégrer en son sein, sans renier ses principes, la grande tradition mystique chrétienne.

Le refus

Ce refus catégorique de la mystique au sein du protestantisme est plutôt récent : il vient du courant appelé « théologie dialectique » dont les grandes figures sont Emile Brunner (1889-1966) et surtout Karl Barth (1886-1968). Barth traite la mystique d’« athéisme larvé et ésotérique » et Brunner y voit « le seul adversaire de taille de la foi chrétienne jusqu’à la fin des temps », parce qu’elle représente « la plus fine distillation du paganisme » au sein du christianisme. Ce front polémique sera repris, comme une sorte d’évidence, par leurs successeurs et est à la base de ce refus virulent de la spiritualité mystique au sein des Églises de la Réforme.
Mais si nous regardons ce que visent ces attaques, nous pouvons être étonnés ; car ce n’est pas tant la tradition mystique médiévale ou classique qui est remise en question par nos auteurs que la théologie moderniste et libérale de Schleiermacher. Schleiermacher, dans sa philosophie religieuse, proposait un système partant d’une identité essentielle entre l’Esprit divin et l’esprit de l’homme. C’est cela qui est taxé de « mystique » par nos théologiens. Ainsi comprise, la « mystique » s’oppose à la Révélation et à la foi. En effet, si la « mystique » consiste en la prise de conscience de l’unité originelle de l’homme avec Dieu, la connaissance de Dieu devient une faculté inhérente à l’homme (par une démarche d’introspection) sans qu’il y ait besoin de Révélation extérieure. Elle est alors le signe de l’orgueil de l’homme qui cherche à devenir Dieu (le « péché » par excellence). D’où l’opposition qui sera répétée ensuite si souvent comme un slogan : ou la mystique (tentative de l’homme d’accéder à Dieu par ses propres moyens) ou la Parole (Révélation qui vient de Dieu vers l’homme). Ou la religion (mouvement ascendant de l’homme vers la divinité) ou la foi (mouvement descendant du Dieu de la Bible vers l’être humain).
Toutefois, on peut se demander si cette critique de la « mystique » vise juste. En effet, quand nous lisons les témoignages des mystiques sur leur expérience, nous voyons que pour eux la mystique n’est pas un système métaphysique qui postulerait une identité essentielle de l’homme avec Dieu ; c’est bien plutôt un cheminement spirituel de transformation intérieure. L’union n’est pas un présupposé métaphysique, mais elle est l’aboutissement de la démarche, lorsque l’homme s’est vidé de lui-même pour faire toute la place à Dieu. La critique vise donc tout autre chose que la réalité vécue par les mystiques. C’est pourquoi il est si important de nous mettre à l’écoute des témoignages des mystiques sur ce qu’ils vivent 1.
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Luther proche de la mystique

Quand nous regardons aux débuts de la Réforme, nous voyons que cette dernière a un souffle spirituel très fort, très proche de la mystique. Luther d’ailleurs connaissait bien les œuvres de Tauler (représentant de la mystique rhénane) et avait à plusieurs reprises fait éditer un ouvrage mystique anonyme de la fin du XIVe siècle : la « théologie germanique ». On peut même dire que l’expérience de la justification, qui est à la base de toute la théologie luthérienne, est profondément mystique. Dans son Traité de la liberté chrétienne, Luther va reprendre tout le vocabulaire de la mystique nuptiale médiévale (notamment de Bernard de Clairvaux) pour exprimer le « joyeux échange » de la justification :

<BLOCKQUOTE>
« Mais voici une grâce incomparable qui appartient à la foi : elle unit l’âme à Christ comme l’épouse est unie à l’époux. Par ce mystère, dit l’apôtre, Christ et l’âme deviennent une seule chair (Eph. 5,30). Une seule chair : s’il en est ainsi et s’il s’agit entre eux d’un vrai mariage […] il s’ensuit que tout ce qui leur appartient constitue désormais une possession commune, tant les biens que les maux. Ainsi, tout ce que Christ possède, l’âme fidèle peut s’en prévaloir et s’en glorifier comme de son bien propre, et tout ce qui est à l’âme, Christ se l’arroge et le fait sien. Comparer ici, c’est découvrir l’incomparable. Christ est plénitude de grâce, de vie et de salut ; l’âme ne possède que ses péchés, la mort et la condamnation. Qu’intervienne la foi et, voici, Christ prend à lui les péchés, la mort et l’enfer ; à l’âme, en revanche sont donnés la grâce, la vie et le salut. […]
Qui donc pourrait se faire une idée digne de ce mariage royal ? Et qui pourrait embrasser les glorieuses richesses d’une telle grâce ? Voici que, riche et saint, Christ, l’époux prend pour épouse cette prostituée chétive, pauvre et impie ; il la rachète de tous ses maux, il la pare de tous ses biens. Il n’est pas possible que ses péchés la perdent, car ils reposent sur Christ et sont engloutis en lui. Quant à elle, elle possède en Christ la justice qu’elle peut regarder comme la sienne propre et qu’à l’encontre de tous ses péchés elle peut opposer en toute assurance à la mort et l’enfer en disant : “Si moi, j’ai péché, mon Christ n’a pas péché ; c’est en lui que je crois, tout ce qui est à lui est à moi et tout ce qui est à moi est à lui” selon le Cantique des cantiques : “Mon Bien-aimé est à moi et je suis à lui” (Ct 2,16) 2. »</BLOCKQUOTE>Ce sont bien les thèmes de la mystique nuptiale, mais au lieu de décrire le terme du cheminement spirituel, Luther les utilise pour exprimer l’expérience du commencement, lorsque l’être humain découvre qu’il est aimé inconditionnellement par Dieu. De ce fondement vont naître les principaux principes de la Réforme, là aussi en parenté très étroite avec la mystique.
La grâce seule est l’affirmation de la gratuité de l’Amour divin qui ne dépend pas des œuvres humaines. Cela rejoint la valorisation de la passivité de l’être humain chez de nombreux mystiques. Le Christ seul signifie la relativisation de toutes les médiations humaines pour entrer en communion avec Dieu. Cette union sans « intermédiaires institutionnels » est aussi recherchée par les mystiques. L’Écriture seule indique le lieu où rencontrer le Christ, Parole de Dieu. Luther, pourrait-on dire, transpose pour tout le peuple chrétien, le principe de la lectio divina (voir à son sujet p. VI, col. 1) en usage dans les monastères. Enfin le sacerdoce universel de tous les chrétiens permet d’abolir la séparation entre clercs et laïcs, entre une Église enseignante et une Église enseignée. Cela rejoint la mystique qui se réclame de l’autorité de l’expérience personnelle de Dieu.

Réaction de Luther face aux « enthousiastes »

Mais il y a une nette évolution de Luther vis à vis de la spiritualité mystique. Luther doit en effet lutter sur un double front : contre l’Église catholique dont il s’est détaché, mais de plus en plus aussi contre ceux qu’il appelle des « enthousiastes », qui se réclament de ses principes, mais veulent aller jusqu’au bout de leurs conséquences. Ce sont les anabaptistes, mais aussi des cercles spiritualistes, qui se basent sur l’expérience d’une lumière « intérieure » et veulent se passer de toutes les médiations extérieures. Luther va réagir vigoureusement contre ce risque de« subjectivisme » de la foi chrétienne. Il insistera de façon massive sur les aspects « objectifs » ou « extérieurs » de la foi. La grâce seule rappelle que la justification est totalement extérieure à l’être humain ; l’Écriture seule met l’accent aussi sur le fait que la Révélation ne peut venir que d’une parole extérieure (la prédication qui renvoie à l’Écriture). Luther écrira même : « Dieu ne donne à personne son Esprit ou sa grâce, sinon par ou avec la parole externe préalable. C’est là notre sauvegarde contre les enthousiastes, autrement dit : les esprits qui se flattent d’avoir l’Esprit indépendamment de la parole et avant elle, et qui, par suite, jugent, interprètent et étendent l’Écriture et la parole orale selon leur gré. […] C’est pourquoi, nous avons le devoir et sommes dans l’obligation de maintenir que Dieu ne veut entrer en rapport avec nous les hommes que par sa parole externe et par les sacrements. Tout ce qui est dit de l’Esprit indépendamment de cette parole et de ces sacrements, c’est le diable3. »
Élan mystique dans un premier temps donc, réaction anti-mystique dans un deuxième temps au nom des mêmes principes fondamentaux ; voilà comment on peut résumer l’évolution de Luther qui laisse des questions spirituelles en suspens : comment faire nôtre cette justice offerte gratuitement en Christ ? Comment passer du Christ pour nous (de la justification) au Christ en nous (de la sanctification) ? C’est ce genre de questions qui préoccupera les mystiques protestants des générations suivantes.
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Böhme (1575-1624)

Jacob Böhme est beaucoup moins connu que Luther. Ce n’est pas un théologien, ni un pasteur, mais un laïc, cordonnier de son état, qui va publier une œuvre touffue à partir d’une expérience spirituelle visionnaire. Böhme relate cette expérience dans une lettre à un correspondant :

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« Jamais, je n’ai nourri le désir de connaître quelque chose du Mystère divin, encore moins compris comment le chercher et comment le trouver. Mon ignorance était du genre de celle des laïcs, dans la simplicité. Je cherchais uniquement le cœur du Christ pour m’y cacher du coléreux courroux de Dieu et des attaques du Diable, et avec sérieux, je priais Dieu de me donner son Esprit Saint et sa grâce pour qu’il me bénît en lui et pour qu’il me conduisît, pour qu’il m’ôtât ce qui me détournait de lui, afin que je m’abandonnasse entièrement à lui, afin que je ne vécusse pas suivant ma volonté, mais suivant la sienne, afin qu’il fût mon unique guide et afin que je pusse être son enfant dans son fils Jésus Christ.
Dans cette recherche et dans ce désir qui m’animaient avec un sérieux extrême, et durant lesquels j’ai subi de violentes attaques […] la porte s’était ouverte devant moi, si bien qu’en un quart d’heure j’ai vu et j’ai su plus que si j’avais fréquenté l’université pendant de nombreuses années. Cela m’a grandement étonné, je ne savais pas ce qui m’arrivait, et alors, j’ai tourné mon cœur vers la louange de Dieu.
En effet, je vis et je connus l’être de tous les êtres, le fond et le sans-fond, également la naissance de la sainte trinité, l’origine et l’état originel de ce monde et de toutes les créatures par la Sagesse divine 4. »</BLOCKQUOTE>Cette longue citation nous place au cœur de l’expérience mystique de Böhme ; on voit d’abord que c’est un être inquiet, angoissé, mélancolique qui cherche à s’apaiser « dans le cœur du Christ ». Sa démarche est dans la ligne des mystiques du détachement : il veut renoncer à sa volonté propre pour suivre uniquement la volonté divine. Il faut insister sur cet aspect, car, contrairement à beaucoup de ses commentateurs, Jacob Böhme ne cherche pas la connaissance pour le plaisir de la spéculation, mais dans le but d’éprouver le salut et de devenir « enfant de Dieu dans son fils Jésus Christ ». Sa théosophie – terme qui signifie littéralement « sagesse de Dieu » et qui désigne une connaissance par illumination (et non par la raison) de la nature de Dieu, de l’univers et de l’homme, ainsi que de leurs rapports (« correspondances ») réciproques – sera toujours au service d’une mystique de l’union à Dieu par le Christ. Dans la prière s’ouvre pour Böhme la porte de la connaissance, une connaissance intuitive et visionnaire (« Je vis et je connus ») des mystères de Dieu, de la création et de l’homme, qui le conduit à la louange.

Que peut nous apporter Böhme ?

Le climat spirituel de l’époque de Böhme est bien différent de celui de l’époque de Luther. Le problème majeur n’est plus tellement celui de la culpabilité individuelle (« Comment puis-je être juste devant Dieu ? ») mais plutôt le problème du mal « cosmique » : pourquoi le mal ? D’où vient-il ? Comment le vaincre ? Böhme va, à partir de son expérience visionnaire fondamentale, prendre à bras le corps cette question. On pourrait dire que Jacob Böhme va transposer dans la nature d’une part, et surtout en Dieu – ce qui sera considéré comme un blasphème par les orthodoxies – ce fond obscur, sombre, ténébreux qu’il ne sent que trop en lui-même. Il y a, selon notre théosophe, dans la nature divine quelque chose d’obscur ; Dieu n’est pas une réalité statique : il doit « naître » par la victoire de la Lumière sur cette source ténébreuse. Böhme décrit, de façon mythique, ce processus de « naissance » du Dieu Vivant : de la source obscure à la Lumière par l’Amour. Jacob Böhme pourra décrire ce même processus à l’œuvre dans la nature, dans l’histoire, et en chaque être humain : « la naissance de Dieu » en l’âme humaine est alors perçue, selon ce même dynamisme, comme une victoire du Christ (ou du « principe lumineux ») sur le fondement ténébreux de la personne (l’enfer ou l’angoisse) qui aboutit à la paix et à la joie de l’Esprit Saint.
Malgré son côté parfois obscur, il y a un souffle spirituel fort chez Böhme, qui a eu une très grande influence sur toute une frange très marginalisée de nos Églises, l’« ésotérisme chrétien ». Certains adeptes du New Age se réclament de sa pensée, et tenter de mieux le comprendre pourrait nous permettre de créer des ponts avec cette mouvance, par delà les anathèmes réciproques.

Trois aspects de la pensée de Böhme me semblent très actuels :

– La grande question à la base de la démarche de Böhme est aussi actuelle : nous sommes confrontés à la question lancinante du mal. Böhme ne va pas donner une explication, mais il décrit un processus de libération, que nous devons accomplir en nous-mêmes.
– Ce processus spirituel a des parentés avec la psychologie des profondeurs, notamment d’obédience jungienne (Jung s’est d’ailleurs réclamé de notre théosophe) : la prise en compte de ce que Jung appelle l’ombre permet l’unification de la personne, son « individuation ».
Toutefois la mystique de Böhme, coupée de son expérience vive, peut donner lieu à des spéculations stériles. Böhme nous donne alors un critère souple de discernement pour toute voie « d’ésotérisme » : ce voyage intérieur me conduit-il au Christ présent en moi et à la paix de l’Esprit Saint ou est-ce simplement une spéculation dangereuse dans laquelle l’homme reste prisonnier de ses propres constructions mentales ?
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Tersteegen (1697-1769)

Avec Gerhard Tersteegen, nous pénétrons dans un tout autre univers spirituel, moins obscur, plus proche de la simplicité évangélique et de la grande tradition mystique chrétienne. Il convient de donner des indications biographiques sur celui qu’on a pu appeler un « saint protestant » et qui est malheureusement très peu connu, faute de traductions, dans l’espace francophone.
Tersteegen a impressionné ses contemporains par la cohérence totale entre sa vie et son enseignement, sa piété et sa personne, sa pensée et son action. Il place très haut l’idéal de sanctification, hérité de sa tradition réformée. Il naît en 1697 à la frontière entre l’Allemagne et les Pays Bas dans une famille de tisserands. Après des études excellentes, notamment dans l’apprentissage des langues (ce qui lui permettra de traduire des textes mystiques), il se voit dans l’obligation financière de travailler jeune et deviendra tisserand. Il fait une expérience spirituelle forte, sous l’influence notamment de cercles piétistes, et décide de vivre une vie érémitique, en traduisant des textes de la tradition mystique catholique (notamment les écrits de Madame Guyon, qui l’ont fortement influencé) et en se faisant « rubanier ». Tersteegen va écrire de nombreux poèmes saisissants où, dans des formules très courtes, il donne un condensé de son expérience mystique. Il fera aussi beaucoup d’accompagnement spirituel, et donnera des enseignements (au grand dam du pasteur local qui n’apprécie guère son rayonnement !).
Tersteegen cherche Dieu par le silence intérieur :

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« Ô âme, sors de ta volonté propre
Rentre en toi et fais silence.
Dans le fond de ton âme, Dieu est proche.
Celui qui perd tout, là, il Le trouve. »
« Dieu est tout près, Il est en toi : ne le cherche plus au loin !
Dieu est Dieu dans les cœurs – Il aime à se donner aux cœurs.
Fais demi-tour ! Rentre en toi ! Par Dieu seul tu seras comblé !
Abandonne-Lui ta personne et tes biens et qu’Il en fasse ce qu’Il veut !
Ce que tu fais, fais-le pour Lui ! Ne regarde ni ta personne, ni tes œuvres. »</BLOCKQUOTE>La mystique de Tersteegen est très proche de celle de Madame Guyon, peut-être plus apaisée, sans les excès de cette dernière. On peut la qualifier d’ascétique, puisqu’elle est préparée par un retrait du monde, un silence extérieur qui facilite le silence intérieur, un rejet de la dispersion et dissipation extérieures qui permet une unification intérieure. L’abandon de la volonté propre est au centre de cette mystique : il permet de laisser le cœur vide pour que Dieu vienne l’habiter. Tersteegen parle très souvent de rentrer en soi-même, il préconise donc une démarche d’intériorisation, pour découvrir (par l’abandon progressif des sens, des sentiments, des idées) ce « fond » où Dieu « révèle sa présence ». Il développe ainsi des thèmes traditionnels de la tradition mystique : ce fond est semblable à l’« étincelle divine » en l’homme de Maître Eckhart ou de la « fine pointe de l’âme » de François de Sales. Cette conception mystique lui permet d’échapper au « sentimentalisme » piétiste, car le « sentiment » est encore du domaine des « sensations » et est donc à dépasser. Quand l’homme entre dans le « repos », c’est Dieu qui peut agir à l’intérieur de l’âme totalement abandonnée pour la faire avancer dans la voie spirituelle.
Tersteegen, à la suite de Madame Guyon mais aussi de Luther, insiste sur ce caractère « passif » de la vie mystique : il met souvent en garde contre la tentation de vouloir construire par soi-même sa vie spirituelle, de vouloir en avoir la maîtrise. La vraie « piété » consiste à laisser l’Esprit agir en soi ; la seule « œuvre » de l’homme est de se rendre disponible et d’écarter tout ce qui pourrait être un obstacle à l’action intérieure de l’Esprit. Tersteegen exprime cette idée en recourant à l’image biblique du potier :
« On doit être comme de l’argile informe dans la main de Dieu. Cette main d’amour nous forme comme elle le veut. (...) Elle rend doux et passif, elle nous apprend à abandonner toute volonté. (...) Elle nous isole dans un lieu vide de toute vie propre ou étrangère, où Dieu est le seul et entier trésor des âmes 5. »

Tersteegen est profondément attaché à la Bible

Est-il encore besoin de préciser que la mystique de Tersteegen est profondément biblique ? Tersteegen peut nous aider à vivre une spiritualité enracinée dans la Bible sans tomber dans le fondamentalisme. Dans son traité « Instruction pour une juste compréhension et une bonne utilisation de l’Écriture » qui ouvre son Chemin de vérité, Tersteegen propose une véritable méthode de lectio divina protestante. La lectio divina est la méthode monastique de lecture de la Bible ; elle consiste en une méditation de la Parole de Dieu en plusieurs étapes, afin de permettre d’y entendre la voix divine s’adressant personnellement au cœur de chacun.
Dans ce traité, Tersteegen s’oppose aux spiritualistes qui prétendent se passer de l’Écriture qu’ils considèrent comme trop « extérieure » et aux rationalistes qui la vident de toute saveur spirituelle. Il va dégager cinq points principaux pour une juste compréhension de l’Écriture, cinq attitudes spirituelles qui nous permettent de recevoir ce qu’elle veut nous donner. Ce sont : la prière, la mise en pratique, le renoncement, le recueillement et la souffrance.
La prière implique une attitude d’humilité devant l’Écriture ; elle consiste à nous décharger de tous nos pseudo-savoirs : il ne faut pas venir à l’Écriture en croyant déjà la connaître, mais, par la prière, nous pouvons nous rendre disponibles à ce que Dieu veut nous donner par sa Parole.
L’Écriture est essentiellement pratique (et non théorique), il faut donc mettre en pratique ce que l’on a déjà compris de la vie chrétienne pour avancer dans une compréhension toujours plus profonde de la volonté divine.
Le renoncement à soi est – nous l’avons déjà vu – au centre de la mystique de Tersteegen : Dieu ne peut se communiquer qu’à un cœur dépouillé, parfaitement détaché, qui ne cherche pas dans l’Écriture un quelconque avantage personnel.
Le recueillement est la pratique de la contemplation de la Divinité présente en notre fond ; c’est la condition pour que l’Écriture ne demeure pas une parole purement extérieure, mais qu’elle devienne cette Parole que Dieu veut prononcer au plus intime de chaque personne.
Enfin Tersteegen mentionne la souffrance, car la vraie connaissance est donnée aux cœurs brisés qui ne s’appuient pas sur leurs forces, mais attendent tout secours de Dieu.

Des conseils concrets pour une méditation chrétienne

En plus de ces principes, Tersteegen va donner aussi des conseils très concrets pour la pratique d’une « méditation chrétienne » ayant pour centre l’Écriture sainte.
Il nous conseille, dans un premier temps, de nous abstraire de nos occupations quotidiennes pour entrer dans le recueillement, en un moment mis à part pour la lecture de la Bible et sa méditation, à l’image de Marie aux pieds de Jésus (Lc 10,38-42) :

<BLOCKQUOTE>
« Rassemble d’abord tes sens et ta pensée loin des distractions extérieures : avec Marie, assieds-toi en esprit aux pieds de Jésus et lis aussitôt dans le plus grand recueillement et la plus grande tranquillité les paroles de l’Écriture telles qu’elles sont dans leur extériorité, dans l’attente que Dieu te fasse entendre en même temps les mots de son Esprit dans leur intériorité 6. »</BLOCKQUOTE>On voit l’équilibre que Tersteegen ne cesse de maintenir entre l’extériorité de l’Écriture et l’intériorité d’une Parole intime. Tersteegen recommande ensuite de recevoir l’Écriture comme une parole qui nous est personnellement adressée et qui ne concerne que nous-mêmes : « Ne t’en sers pas pour regarder et juger les autres, pour les instruire et les convertir, mais pour toi-même. C’est toi la personne concernée. » L’Écriture est donnée avant tout pour notre édification, notre « mûrissement spirituel » ; il faut donc en faire une lecture « existentielle » et non intellectuelle. Surtout n’y cherchons pas des arguments pour asséner nos propres idées. Comme le dit joliment Tersteegen, qui devait avoir rencontré dans les milieux piétistes pas mal de combats à coup de versets bibliques : « l’Écriture est une pharmacie et non une armurerie » ! Le but est de mettre en pratique ce qui est dit, mais en faisant attention toutefois à ne pas voir dans la Bible qu’un livre de morale et à ne pas trop compter sur ses propres forces pour accomplir le commandement divin. L’Écriture, en effet, nous renvoie toujours au Christ et c’est Lui qui, en nous, accomplira la volonté divine. Notre auteur déconseille d’avoir recours, lors du temps de méditation, à des commentaires ou des explications « humaines » ; il faut simplement laisser l’Esprit lui-même nous ouvrir l’Écriture et nous toucher au cœur. Enfin, Tersteegen nous recommande de ne pas avaler l’Écriture comme des gourmands en lisant trop pendant la méditation, mais plutôt de laisser résonner en nous un verset (et non de raisonner sur lui).
Voilà beaucoup de conseils pratiques, mais n’oublions pas le but principal de l’Écriture qui est de nous conduire au Christ :

<BLOCKQUOTE>
« Ce but, c’est de nous appeler hors de notre éloignement misérable, hors de la dispersion due à notre état de créature et de notre individualisme, pour nous guider vers Dieu lui-même, vers la communion ardente avec lui en Jésus Christ. Quand nous lisons l’Écriture, il ne faut jamais perdre des yeux ce but final, sinon nous la lisons en vain, et au lieu de devenir pour nous un moyen, elle devient un obstacle. (...) Ce n’est pas l’Écriture qui peut nous donner la vie, mais seulement le Christ dont l’Écriture témoigne. Ô âme va vers le Christ avant la lecture, pendant la lecture et après la lecture. »</BLOCKQUOTE>Tersteegen ne confond donc pas l’Écriture avec la Parole de Dieu (comme le font les fondamentalistes) : l’Écriture nous renvoie au Christ, seule Parole de Dieu capable de nous donner la vie, qui est présent au plus intime de notre personne par son Esprit. Enfin Tersteegen termine son instruction en rappelant que chacun est une Écriture sainte par toute sa vie, un « Évangile vivant » comme le disait Madame Guyon.
Tersteegen propose une voie entre mouvance « évangélique » et protestantisme traditionnel
La mystique de Tersteegen est entièrement d’inspiration biblique, et il me semble que sa lecture de l’Écriture sainte pourrait nous aider à vivre un dialogue intra-protestant entre la mouvance « évangélique » et le protestantisme traditionnel. Nous l’avons déjà dit, les « évangéliques » sont les enfants du piétisme ; ils ont repris à leur compte les préoccupations de renouveau spirituel du XVIIIe siècle et l’ont fait fructifier, non sans le trahir parfois : qu’on songe par exemple au caractère schématique et figé de l’expérience de conversion subite, qui semble devenir, dans certains milieux, le seul modèle possible pour entrer dans une vie de foi. Mais la difficulté principale pour vivre un dialogue fructueux est le « fondamentalisme » de beaucoup de ces Églises, phénomène qui, sous sa forme actuelle – qu’on pourrait qualifier d’« intégrisme protestant » – ne remonte qu’au début du XXe siècle. Tersteegen (et avec lui l’ensemble du piétisme originel) pourrait montrer qu’il existe une alternative entre une lecture fondamentaliste de l’Écriture sainte (qui identifie la Bible avec la Parole de Dieu) et une lecture rationalisante (qui en évacue le mystère) : une réelle lecture spirituelle qui permette au croyant d’entendre à travers les mots de la Bible la voix de Dieu qui parle à son cœur. Il faut dire aussi que l’exégèse biblique « scientifique » a bien changé depuis l’époque de Tersteegen : elle ne repose plus sur un rationalisme réducteur et elle peut nous aider à ne pas tomber dans un « subjectivisme » proche du délire interprétatif.
Tersteegen rejoint aussi, par beaucoup d’aspects de sa vie spirituelle, la démarche contemporaine en matière de spiritualité. Giovanna della Croce, Carmélite italienne qui a écrit un ouvrage sur Tersteegen, affirme à juste titre : « Son effort incessant pour confronter la foi chrétienne avec la vie et la parole du Christ, sa recherche de l’unité entre la théologie et la piété, avec la vision réaliste de l’existence chrétienne qui en découle, son engagement pour l’homme concret, lié au monde, pour donner une réponse personnelle à l’appel de Dieu dans la grâce : tout cela constitue les composantes essentielles des problèmes posés aujourd’hui à la conscience chrétienne au sujet de la relation de l’homme à Dieu et de la spiritualité qu’elle exige 7. »
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La mystique et le protestantisme peuvent s’enrichir mutuellement

Il me semble, après ce parcours trop bref sur mystique et protestantisme, qu’il nous faut vraiment lever le malentendu qui perdure trop souvent dans les Églises protestantes au sujet de cette forme de spiritualité et découvrir la richesse et la profondeur de notre propre tradition.
La mystique pourrait constituer aujourd’hui une chance pour le protestantisme, en lui permettant de ne pas se figer dans un intellectualisme sans vie et un moralisme sans joie. De son côté, le protestantisme pourrait aussi constituer une chance pour la mystique, en lui permettant de ne pas se diluer dans une spiritualité « light », un mysticisme exalté et crédule, et en lui donnant un ancrage dans une tradition communautaire d’interprétation de la Bible.
En renouant avec leurs traditions mystiques, les Églises de la Réforme pourraient devenir des lieux de découverte ou d’approfondissement spirituels pour nos contemporains éloignés des institutions ecclésiales. Peut-être alors, pourront-ils expérimenter qu’il n’y a pas besoin de chercher trop loin, dans des religions ou pratiques exotiques, de quoi répondre à leurs aspirations et qu’il existe au sein du protestantisme des richesses spirituelles insoupçonnées.
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La religion hors de l'église

Michel Despland
«Aspects du XIXe siècle
Depuis quelques années, un théologien allemand, le professeur Trutz Rendtorff, défend avec vigueur et érudition une thèse intéressante: à partir du XIXe siècle une bonne partie des réalités chrétiennes vivent hors de l'Eglise (1). On peut être chrétien dès lors sans être d'église. Ces formules, peut-être simplistes, ont au moins l'avantage d'attirer l'attention sur un état de choses complexe. Le phénomène de sécularisation qui prend son essor au XIXe fait que de nombreuses composantes de la société tendent à écarter l'autorité de l'Eglise (ou des églises) et à trouver que cette autorité fait violence au dynamisme moral des hommes qui veulent progresser. La sécularisation, ajoute Rendtorff, est en fait un processus qui tend à accroître la liberté et, par conséquent, la responsabilité humaine. L'homme en société apprend alors à faire face à de nouveaux problèmes, de nouvelles obligations. Il fait ainsi, dans sa vie personnelle et publique, souvent preuve de responsabilité chrétienne, par exemple lorsqu'il lutte pour l'égalité, la liberté, la justice. Mais l'Eglise ou les églises ont eu malheureusement trop souvent peur que ces dynamismes sociaux et politiques (qui n'étaient pas contrôlés par leur autorité) fussent foncièrement a-chrétiens ou anti-chrétiens. Les élites ecclésiastiques ont voulu alors à tout prix faire de tous les chrétiens des chrétiens d'église. Manquant de confiance dans les bases chrétiennes communes de la vie politique et sociale, l'Eglise -et cela est surtout vrai de l'Eglise catholique - a voulu réunir les chrétiens dans des écoles catholiques, des syndicats catholiques, des partis catholiques même. Ainsi, démontre Rendtorff, l'Eglise a cessé de transmettre toute la richesse de la tradition chrétienne pour n'inculquer qu'une ecclésialité frileuse. Il n'est dès lors pas étonnant que le concept de l'église ait été placé au centre de tous les efforts de la théologie officielle: alors que les chrétiens des Lumières songeaient à une église égalitaire et à un gouvernement rationnel, l'orthodoxie a redoublé dans ses efforts pour faire de l'Eglise le seul lieu dans le monde où Dieu parle et laisse sa révélation.


Église et Religion

La thèse de Rendtorff a pour le moins l'avantage d'attirer l'attention sur certaines conséquences du siècle des Lumières. Certains anticléricaux voient l'Eglise comme une institution trop puissante. De leur côté, certains chrétiens disent que la théologie officielle se trompe: soucieux d'obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes, ils sont de plus en plus nombreux à dire qu'il importe d'obéir à Dieu plutôt qu'à l'Eglise. Ces deux groupes ont quelque chose en commun: ils voient l'Eglise de moins en moins comme le lieu privilégié où le caractère chrétien de la société trouve son expression; ils la voient comme une institution à côté d'autres. Et certains commencent à trouver que les réalités chrétiennes (christianisme ou chrétienté, Rendtorff parle de Christentum) se portent mieux hors de l'Eglise qu'en son sein. Religion et Eglise deviennent distinctes. Le mot religion sert à recouvrir toutes sortes de choses: religion naturelle, religion idéale, religion sentie, religion fraternelle, religion de l'avenir. Quoi qu'il en soit, le mot désigne quelque chose de plus vaste, de plus diffus. Le mot église, par contre, est ramené aux dimensions de son caractère institutionnel, aux dimensions de sa hiérarchie et de ses sanctuaires.

On trouve en France divers auteurs au début du XIXe qui cherchent à se situer et à formuler leur pensée politique et sociale grâce à cette distinction entre Religion et Eglise.

Benjamin Constant (1767-1830) édifie avec soin une théorie libérale classique. Elle repose sur la nécessité de distinguer le sentiment religieux des formes religieuses. Le premier "naît du besoin que l'homme éprouve de se mettre en communication avec les puissances invisibles". "La forme naît du besoin qu'il éprouve également de rendre réguliers et permanents les moyens de communication qu'il croit avoir découverts." (De la Religion, 1824, tome 1, chap. 1 et 2). Le sentiment repose sur une donnée permanente de la nature humaine. Les formes évoluent avec l'histoire. Dans cette perspective, il n'y a pas lieu de parler de l'Eglise. il faut parler des églises, des associations culturelles que les hommes forment selon leurs besoins et leurs aspirations. Toutes évidemment ont le droit de s'organiser librement pour autant qu'elles ne portent pas atteinte à la loi. Constant croit pouvoir ainsi assurer la permanence des valeurs chrétiennes les plus chères. En reconnaissant le sentiment religieux comme réalité individuelle, on établit le droit à la liberté religieuse. Et en reconnaissant le droit à l'association, on permet aux églises de se faire entendre et de jouer un rôle sur la scène publique. Constant, il faut l'ajouter, est un protestant né en Suisse et de formation cosmopolite, à la manière du XVIIIe.

Chateaubriand (1768-1848) publie en 1804 le Génie du Christianisme. L'Eglise de France avait été persécutée au cours de la Révolution. "Ce fut au milieu des débris de nos temples que je publiais le Génie du Christianisme. Les fidèles se crurent sauvés: on avait alors un besoin de foi, une avidité de consolations religieuses qui venaient de la privation de ces consolations depuis longues années." (Mémoires d'Outre-Tombe, XIII, 10) Mais ce reconstructeur est un innovateur: il ne fait pas du recrutement pour l'Eglise, il allume une ferveur pour le christianisme. Peut-être élude-t-il les difficultés, mais il donne le pouvoir spirituel suprême à la Religion plutôt qu'à l'Eglise. "La Religion est le seul pouvoir devant lequel on peut se courber sans s'avilir". En politique, il est plutôt gallican (l'Eglise catholique de France est sous la vigilance de la France) et il tient à éviter l'ingérence des clercs dans les affaires de l'Etat.

F. Lamennais (1782-1854) quant à lui ne voit aucune différence entre religion et Eglise catholique (je parle du Lamennais d'avant la condamnation de 1831). Son Essai sur l'Indifférence (1817) assure que la raison est impuissante: toute vérité vient de Dieu qui a enseigné la langue, fondé la société, érigé la religion. Il ne nous a donné qu'une seule religion, la vraie, et celle-là se retrouve aujourd'hui dans le christianisme catholique. "La vraie philosophie c'est la religion", écrit-il. Il veut dire que c'est l'enseignement donné par le catholicisme. En 1825, De la Religion considérée dans ses rapports avec l'ordre politique et civil est un pamphlet antigallican: le pouvoir absolu du pape doit être restauré dans l'Eglise. Celle-ci doit donc être soustraite à toute influence venant du Roi et cette Eglise restaurée pourra mener à bien son oeuvre de Contre-Révolution. Une fois que le pape sera devenu l'autorité incontestée dans l'Eglise, il pourra devenir ce qu'il aurait toujours dû être, le souverain régnant sur tous les peuples. Parler de la religion amène donc Lamennais à enseigner les exigences de la théocratie, seul système vrai pour la vie politique et la vie religieuse.

Constant, Chateaubriand et Lamennais: chacun à sa manière réagit aux ébranlements causés par la Révolution. Chacun est pour ainsi dire forcé d'innover, car la société fait face à des problèmes nouveaux. L'ordre n'est plus établi. Il faut en établir un. Et il faut évidemment trouver une place pour l'Eglise dans cet ordre. Constant innove grâce à une théorie anthropologique de la religion qui assure à chacun le droit à la liberté religieuse. Chateaubriand innove en voulant ancrer le christianisme dans le coeur de tous les Français et en y voyant une force culturelle distincte de l'Eglise catholique. Lamennais n'innove qu'à son corps défendant: il veut restaurer la position traditionnelle de l'Eglise, mais en présentant cette position dans toute sa rigueur théorique il entre en conflit avec l'Etat, la hiérarchie française, la papauté elle-même. Son projet de théocratie populaire est formellement condamné à Rome en 1832: il semble bien qu'il s'engageait dans un cul-de-sac.


Pouvoir spirituel de l'écrivain

Ces débats français ne me semblent pas périmés. Trouver une place dans la société et pour les églises et pour la religion me semble faire encore problème aujourd'hui. Deux admirables livres de Paul Bénichou (2) sur la France du début du XIXe nous permettront d'aller plus avant dans notre compréhension des problèmes.

Le Sacre de l'Ecrivain nous montre comment des générations successives d'écrivains ont prononcé la faillite de l'Eglise et du sacerdoce catholique. Le manteau du pouvoir spirituel passe sur d'autres épaules : celles des écrivains, des poètes. Ceux-ci se voient d'abord comme porteurs des lumières de la critique, mais bientôt une nouvelle génération se prétend illuminée d'une révélation originelle et responsable de répandre la vérité. Tous donc se font une haute idée de l'écrivain, envoyé de Dieu ou simplement son fidèle serviteur, médiateur entre Dieu et les hommes, guide de l'opinion ou entraîneur des masses, instituteur du peuple, créateur du lien social, auteur d'une mythologie nationale; bref tous voient dans l'écrivain la source d'un pouvoir spirituel (de plus en plus laïque) qui donnera à la société l'unité profonde dont elle a besoin et qui permettra au gouvernement de faire son oeuvre si difficile dans les circonstances post-révolutionnaires où l'opinion est si divisée, si vite polarisée.

Le Temps des Prophètes passe en revue les différentes leçons que ces écrivains enthousiastes veulent enseigner à la France. On y discerne, en gros, trois grandes familles.

Les écrivains néo-catholiques croient entreprendre une oeuvre de restauration. Ils veulent remettre l'Eglise catholique à sa place d'honneur dans la société française. Le peuple, croient-ils, l'aime toujours beaucoup; des philosophes libertins et d'avides commerçants peuvent le corrompre et l'écarter de ses devoirs, mais au fond le peuple restera fidèle à son curé et à son roi. (Les écrivains se font des illusions, mais il est important de noter qu'ils se flattent d'être près du peuple.) Et ces catholiques innovent non seulement quant à la qualité de leurs illusions, ils prennent la plume avec enthousiasme et zèle. Ils veulent défendre leur christianisme dans les coeurs et dans l'opinion. Ils sont donc bel et bien des néo-catholiques. Même s'ils admirent l'Ancien Régime, ils ne sont plus des catholiques d'Ancien Régime. Ils sont romantiques, ultramontains, éloquents, émouvants, fervents, passionnés.

L'Utopie pseudo-scientifique (Fourier, Saint-Simon, Auguste Comte) prétend, quant à elle, instaurer dans la société un ordre entièrement nouveau. Cet ordre sera parfait et durable, car il reposera sur une formule scientifique claire et sûre. La science de la société dorénavant existe. Elle permet donc d'établir un pouvoir politique infaillible.

Il est à noter que ces deux premières écoles sont des écoles qui veulent régler les choses par voie d'autorité. Le dogmatisme est pour eux l'état normal de l'esprit sain. La Révolution française fut une période de transition (période critique, dira Saint-Simon, entre deux périodes organiques). Toutes les idées s'y exprimèrent et la plupart étaient fausses, les libertés se déchaînèrent et le désordre régna. Mais tout va bientôt rentrer dans l'ordre; un ordre bien meilleur que l'ancien, soulignent les Utopistes. La liberté dès lors ne sera plus nécessaire. Et ses malheurs évidemment auront disparu. Les esprits de tempérament libéral n'étaient pas nombreux dans la France de 1820.

La troisième école de pensée, la démocratie humanitaire, diffère des deux premières en voyant dans la révolution non une parenthèse heureusement refermée, mais une oeuvre qu'il s'agissait de poursuivre. La liberté devrait être, à leurs yeux, un trait permanent de la société française. On trouve dans ce groupe le Chateaubriand devenu libéral; trente ans plus tard, il avouera qu'il écrirait le Génie du Christianisme "tout différemment": "au lieu de rappeler les bienfaits et les institutions de notre religion au passé, je ferais voir que le christianisme est la pensée de l'avenir et de la liberté humaine". (Mémoires d'Outre-Tombe, XIII, 11) Lamartine, Edgar Quinet, Michelet et surtout Victor Hugo se transmettent le flambeau. Il faut donc souligner la contribution des poètes à ce courant humanitaire et républicain. ils composent des épopées qui placent la poussée française vers la liberté, l'égalité et la fraternité dans le mouvement que Dieu lui-même imprime à l'histoire. Ils écrivent des vers mémorables que les instituteurs de la Troisième République pourront faire mémoriser à des générations de petits Français. Ils sont de vrais poètes et ils enseignent une idéologie généreuse. Ils réussissent à créer un univers mental (mythologique même) qui réconcilie les droits de la loi et ceux de la liberté.

Le lecteur n'aura pas de peine à discerner que j'ai plus de sympathie pour Victor Hugo que pour Lamennais ou Saint-Simon. Comme Benjamin Constant, Hugo croit à la liberté pour toutes les églises et, comme lui, il croit que tous les hommes sont religieux. Mais sa mythologie est incontestablement plus riche et plus vigoureuse. Comme Chateaubriand, il croit que la religion chrétienne est quelque chose de distinct de l'Eglise et qui possède de profondes affinités avec ce qu'il y a de plus vivant dans le coeur humain. Mais à l'encontre de Chateaubriand, il sait se montrer sévère à l'égard de l'héritage chrétien appauvri que les églises cherchent à faire fructifier dans leurs serres étriquées et surchauffées. La foi religieuse à ses yeux ne saurait prospérer à l'écart de la place publique, de l'air, de la pluie et du soleil.


Conclusion

Tout revient en somme à la distinction entre Religion et Eglise. Depuis la Révolution française, les églises ne sauraient prétendre au monopole du religieux dans nos sociétés. Cela est banal. Il y a peut-être quelque mérite à ajouter qu'elles ne sauraient même pas prétendre être les dépositaires de la totalité de l'héritage chrétien de l'Occident.

Noter qu'il y a des associations religieuses non chrétiennes plus ou moins florissantes dans notre société et qui sont - fort heureusement - au bénéfice de certaines garanties légales ne va pas, me semble-t-il, au fond de toute la question. Le problème de la liberté religieuse dans nos écoles, par exemple, reste entier. Et il faut aussi voir qu'il y a du religieux hors des associations spécifiquement religieuses. Depuis la Révolution française, en particulier, il y a du religieux réellement rival du religieux ecclésiastique (parfois rival du religieux chrétien) dans les sociétés nationales. Le social-national est devenu porteur d'une réalité religieuse et d'une promesse religieuse qui émeuvent presque tous les citoyens. On peut sourire de toutes ces idéologies sociales qui excusent les carences ou même les crimes de la société à l'heure actuelle en faisant allusion à l'avenir amélioré dont la société prétend contenir le germe. Il n'en reste pas moins qu'en prétendant se justifier par l'avenir qu'elles veulent assurer, nos sociétés savent jouer sur des cordes religieuses qu'autrefois les sociétés laissaient plus tranquilles. Rares sont ceux aujourd'hui qui admettent qu'une société peut vraiment être et, en même temps, ne rien croire et ne rien faire. (Voir Le Temps des Prophètes, pp. 55-56.) Les individus ont perdu le goût de faire des projets de vie pour eux-mêmes, mais ils ont gardé un vif intérêt pour les projets de société.

De plus, le religieux prospère aussi, à l'écart de toute église et de toute association religieuse, dans le privé, l'individuel. Ce religieux est souvent moins finalisé; il n'en est que plus riche, mystique parfois, au sens restreint du terme. En tout cas, ce religieux individuel a élargi son répertoire bien au-delà des scripts traditionnels chrétiens. L'imaginaire individuel déborde allègrement tous les cadres que les orthodoxies s'efforcent de lui donner.

Coincée entre le religieux social-national et le religieux privé, leurs vivacités et parfois leurs aberrations, les églises semblent ne pouvoir trouver qu'une place restreinte. Elles semblent surtout avoir perdu la capacité de pouvoir un jour réintégrer le tout sous leur direction englobante. Ce n'est pas une raison, me semble-t-il, pour n'y cultiver qu'une piété ecclésiale qui cède à tous les attraits d'un confessionnalisme étroit.»
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MessageSujet: Re: Foi, religion, croyances ...   Foi, religion, croyances ... - Page 6 Icon_minitimeJeu 18 Nov - 0:41

Michel JOHNER*

Lors des festivités marquant la fin du IIe millénaire ont été largement évoquées les évolutions (d'ordre spirituel, philosophique et psychologique) qui mettront au défi le christianisme dans les décennies à venir, notamment la mise en question radicale de l'institution ou, plus précisément, du rapport entre la foi et l'institution.
I. La crise de l'institution
Désertions silencieuses
Si nous ne sommes pas encore aujourd'hui à la fin des temps, nous touchons sans doute à la fin d'un temps, celui de la spiritualité qui s'épanouit dans le cadre des institutions (que celles-ci soient familiales, ecclésiales ou civiles). La foi, pourrait-on dire, est en train de changer d'adresse, de déserter les lieux traditionnels. Le protestantisme, en particulier, s'éloigne progressivement des références normatives sur lesquelles reposaient auparavant la stabilité et l'identité de la foi commune :
l'Ecriture sainte, la confession de foi, la loi morale, la liturgie. n est comme entraîné sur un fleuve qui a quitté ses berges, dans un univers flottant, agité, changeant, dont tout le monde sent le mouvement, mais dont personne ne connaît précisément la destination. Comme l'écrit Jean Delumeau, «du point de vue de l'histoire chrétienne, nous sommes assurément à la fin d'un temps: celui du conformisme, et, plus globalement, de la religion héritée de la famille. Mais peut-être sommes-nous en train d'entrer dans le christianisme du baptême des adultes.»'
L'institution ecclésiale est perçue aujourd'hui comme étant trop distante par rapport aux intérêts immédiats des individus. Le sentiment de croyance se recoupe de moins en moins avec celui d'appartenance religieuse ou confessionnelle. L'institution ecclésiale n'apparaît plus comme le lieu naturel de la transmission de la foi, mais comme étant extérieure à l'expérience qui y mène. Son organisation légale ou doctrinale est jugée menaçante ou stérilisante pour la foi personnelle, ce qui incite nombre de chrétiens, même militants, à des formes de désertions silencieuses vis-à-vis de l'institution ecclésiale, portés par le rêve de l'avènement d'une Eglise qui serait tout événement, toute spontanéité, simple communion, lieu de fraternité transparente. Ainsi, c'est tout ce qui reste de «civilisation paroissiale» qui menace de disparaître progressivement.
Distinguer sans séparer
Selon la théologie chrétienne elle-même, l'événement et l'institution ne sauraient être identifiés ou confondus. Le protestantisme, en particulier, a toujours entretenu une grande lucidité sur la précarité institutionnelle de l'Eglise et sur les nombreuses ambivalences dont reste porteuse toute institution ecclésiale. Comme l'a écrit André Birmelé, «la complexité du phénomène «Eglise» vient de l'union, et d'une dimension transcendante, l'Eglise donnée de la foi, et d'un ensemble d'éléments immanents, perceptibles empiriquement. Un domaine sacré, distinct du domaine dans lequel il s'exprime, rencontre une réalité profane avec ses habitudes et son quotidien (...). Les corps ecclésiaux, pour cette raison, portent tous la marque d'une certaine ambivalence.»2
Ceci dit, distinguer ne signifie pas séparer! Le grand défi que doit relever toute ecclésiologie, c'est précisément de dire où se situe l'articulation, où se situe, en matière d'Eglise, le point de contact dynamique entre l'institution et l'événement.
Cette question paraît si délicate qu'une double tentation est constamment présente en la matière: soit l'identification, soit la séparation. L'identification? Par exemple dans la tradition romaine catholique, on n'a pas hésité, à certains moments, à identifier l'Eglise corps de Christ et l'Eglise institution, au risque de légitimer des pages de l'histoire de l'Eglise bien peu glorieuses3. La séparation ? C'est, par exemple, le travers dans lequel sont tombés au XVIe siècle certains courants protestants radicaux, contestant la compatibilité entre la foi chrétienne et toute forme d'expression institutionnelle4. Comparée au dynamisme messianique et vivifiant de l'Esprit saint, l'Eglise-institution leur est apparue comme l'expression d'une forme de déchéance. De ce point de vue, qui est une forme d'idéalisme mystique, le spirituel et l'institutionnel ne sauraient s'articuler. Ils ne peuvent être que parallèles, voire antagonistes.
Et à la suite des anabaptismes les plus radicaux, il y a toujours eu, à chaque époque de l'histoire du protestantisme, des mouvements spirituels ou charismatiques pour chercher à purifier l'Eglise de son institution... tout en ne pouvant pas, en fin de compte - c'est là où est le paradoxe de l'histoire -se passer de certaines formes institutionnelles.
II. L'équilibre ecclésiologique de Calvin
Pour les réformateurs, il est évident qu'une identification trop étroite entre l'événement et l'institution restreindrait par trop la liberté de Dieu. Comme l'a écrit récemment un auteur catholique: «Cette distinction apparaît, du point de vue protestant, comme le coût ecclésial de la libre grâce de Dieu. La
distinction représente le cordon sanitaire contre l'idée idolâtre que l'Eglise est sur terre le substitut de Dieu ou du Christ5
L'Eglise visible et l'Eglise invisible
Dans l'ecclésiologie réformée classique, l'articulation de l'événement et de l'institution rejoint l'articulation plus générale de l'Eglise visible et l'Eglise invisible.
L'Eglise invisible, c'est l'Eglise idéale, c'est l'Eglise dans son expression la plus parfaite, c'est l'épouse du Christ sans taches ni rides, «telle que Dieu l'a contemplée dans le pacte d'élection avec le Christ»6. C'est le corps des élus en qui l'oeuvre souveraine de la grâce mène à terme son oeuvre de sanctification et de régénération. C'est l'Eglise dans sa pureté et sa perfection eschatologique.
L'Eglise visible, par contraste, est celle de notre condition présente: condition transitoire, imparfaite, précaire (où se mêlent encore le bon grain et l'ivraie), jamais entièrement convaincante ou parfaitement fidèle, et pourtant indispensable à la constitution même et au rayonnement de l'Eglise invisible. Les réformateurs ne se sont pas contentés, dans leur ecclésiologie, de substituer une institution à une autre, et de transférer dans la nouvelle institution (l'institution protestante) la prétention ecclésiologique (l'Eglise détentrice de la grâce) affichée par l'ancienne. De leur point de vue, l'Eglise est la création d'une Parole qui lui a été adressée par Dieu, une Parole qui demeure toujours en partie extérieure à elle... une Parole qui fut et qui reste son vis-à-vis créateur et critique. D'où la maxime ecclesia reformata semper reformanda, car l'Eglise, dans son rapport à la Parole révélée, est engagée dans un mouvement de réformation perpétuelle qui ne lui permettra jamais de s'assoupir sur des illusions d'acquis.
Il est certain que la distinction protestante entre Eglise visible et invisible a fragilisé d'une certaine manière l'institution ecclésiale. Par rapport au modèle romain, l'autorité de l'institution est relativisée, puisqu'elle est subordonnée à l'autorité d'une Parole qui lui reste en partie extérieure. Elle n'est plus une autorité première, mais seconde. Cependant, ce qui apparaîtra aux uns comme une faiblesse apparaîtra aux autres comme une force: abandonner une certaine idée de l'autorité pour s'ouvrir à une autre idée de l'autorité, faisant une place plus substantielle à l'autorité d'un Autre, à l'autorité du Seigneur!
La nécessité de l'Eglise visible
Ceci dit, rattachement à la distinction Eglise visible/invisible n'a pas pour autant porté quelqu'un comme Calvin à séparer le spirituel et l'institutionnel, comme en témoigne, par exemple, le titre donné au tome IV de son Institution de la religion chrétienne consacré à l'ecclésiologie: «Des moyens extérieurs ou aides dont Dieu se sert pour nous convier à Jésus-Christ, son Fils, et nous retenir en Lui.»
De son point de vue, l'Eglise invisible ne s'affranchit pas de toute visibilité institutionnelle. L'Eglise invisible connaît une forme d'incarnation dans l'Eglise visible, sans pour autant - et c'est là où est la complexité - pouvoir être confondue avec elle. Il n'est pas concevable, à ses yeux, que l'ecclésiologie fuie dans l'invisibilité.
L'image à laquelle Calvin a recouru pour illustrer sa pensée sur ce point est celle de la relation de l'âme et du corps, comme si l'Eglise invisible était à l'Eglise visible ce que l'âme ou l'esprit est au corps7. Il se trouve, en effet, que l'âme, en théologie chrétienne, à la différence de la pensée platonicienne, ne se conçoit pas indépendamment de l'organisme visible par lequel, ou dans lequel, elle s'incarne. Il n'est pas dit, dans l'Ecriture, que l'homme «a une chair», mais, différence considérable, que l'homme «est chair»! C'est-à-dire qu'il n'a d'existence que corporelle! Sa corporalité, dans cette perspective, n'est pas un accident de parcours, mais la modalité permanente de son existence d'homme. Jusque dans l'ordre de la résurrection, la foi chrétienne reste l'espérance d'une résurrection corporelle. L'âme de l'homme n'est donc pas une abstraction qui pourrait s'épanouir ou se concevoir indépendamment du corps qui en est l'incarnation.
De même, pour Calvin, l'Eglise invisible ne peut se concevoir qu'en relation étroite avec une Eglise visible, avec une institution temporelle qui en assure la visibilité ou l'incarnation. Si l'Eglise ne s'identifie pas à sa manifestation visible, elle n'est toutefois pas hors d'elle. Comme l'a écrit Jacques Courvoisier à propos de l'ecclésiologie de la Réforme: «Le spiritualisme (...) empêche qu'on attache trop d'importance à l'action de l'Eglise visible, et d'autre part, la loi de l'incarnation empêche qu'on pousse le spiritualisme à un individualisme excessif.»8
L'Eglise invisible a besoin de l'Eglise visible
L'Eglise invisible, toute invisible qu'elle soit, a elle-même besoin de l'Eglise visible pour se constituer et s'épanouir dans sa plénitude. Le rapport entre les deux ramène, dans l'ecclésiologie de Calvin, au rapport qui, sur un plan plus général, lie l'alliance de grâce et l'élection. L'alliance de grâce est conçue par Calvin comme étant, dans la temporalité, le «tremplin» de l'élection, la modalité historique par laquelle, et en laquelle, le Seigneur a choisi que se manifeste l'élection des siens. Et c'est en tant que peuple de l'alliance que l'Eglise visible assure extérieurement les conditions nécessaires à rétablissement et à l'épanouissement de la communion des croyants.
L'Eglise mère et épouse
Calvin commente l'épître aux Galates en disant: «Quiconque refuse d'être enfant de l'Eglise (visible), c'est en vain qu'il désire avoir Dieu pour père, car ce n'est sinon par e ministère de l'Eglise que Dieu engendre des enfants et les nourrit.»9 Ou encore dans l'Institution: «L'Eglise est la mère de tous ceux dont Dieu est le Père.»10 «Il n'y a nulle entrée en la vie permanente, sinon que nous soyons conçus au ventre de cette mère, quelle nous enfante, qu'elle nous allaite de ses mamelles, finalement qu'elle nous tienne et garde sous sa conduite et gouvernement, jusqu'à ce qu'étant dépouillés de cette chair mortelle, nous soyons semblables aux anges.»
Si l'Eglise remplit cette fonction maternelle, c'est aussi en vertu du mariage sacré qui l'unit au Christ12. L'Eglise est aussi appelée l'épouse du Christ, et ces «épousailles» disent elles aussi quelque chose d'important sur le rôle de l'Eglise dans l'accession des hommes au Christ. Le Christ et l'Eglise sont tellement associés qu'on ne peut accéder à l'une sans rencontrer l'autre, qu'on ne peut s'attacher à l'une sans s'attacher à l'autre! Le Christ et son Eglise forment à cet égard une seule chair13.
La conviction qui s'exprime au travers de ces différentes métaphores, c'est que l'Eglise visible n'est pas seulement le résultat de l'action de la Parole, son fruit, mais devient aussi un organe par lequel les hommes entrent et sont maintenus dans la communion avec Dieu.
Cette conviction se répercute, en théologie réformée, dans chacun des domaines qui composent l'institution de l'Eglise, en particulier la théologie des ministères. Comme le dit J.-J. von Allmen en commentant la Confession helvétique postérieure: «Pour sauver, il plaît à Dieu d'utiliser ses deux mains, si l'on ose dire. D'une part, il agit au dehors. Cette action se fait par le ministère des hommes. Mais il y a aussi une action intérieure, c'est celle de l'Esprit saint qui convainc les coeurs et les amène à la foi, (...) et il serait faux de déduire que (...) puisque ce qui prime pour le salut c'est le témoignage intérieur du Saint-Esprit, le moyen externe, le ministère, s'en trouve comme vidé de sa nécessité. Il n'y a pas à choisir entre les deux, car Dieu a choisi les deux.»14 L'Evangile, de façon ordinaire, ne parvient pas aux hommes par voie verticale, par une oeuvre immédiate de l'Esprit saint, mais leur parvient par voie horizontale, au travers de l'oeuvre de la succession «kérygmatique», l'oeuvre de proclamation que le Seigneur a lui-même ordonnée à cet effet (cf. Rm 10:14).
III. La théologie de l'institution
Le retour de l'institution
A partir de là, celui qui voudrait approfondir plus avant une réflexion sur la «théologie de l'institution» ne manquera pas d'être frappé par l'importance qu'à pu revêtir le thème de l'institution dans les développements les plus récents des sciences humaines.
Ces dernières années, en effet, la notion d'institution a connu une sorte de résurrection assez surprenante. On pensait en avoir fini avec l'institution. On la croyait emportée par les vents libertaires des années 68. Et la voilà qui resurgit et connaît une audience nouvelle. Des sociologues comme Louis Roussel ont parlé de la nécessité de «restaurer l'institutionnalité». Pierre Legendre, une autre personnalité dans cette mouvance, a soutenu qu'au citoyen, pur individu, doit être opposé non seulement le lien social (qui constitue la société), mais également l'institution qui la construit. De son point de vue, il existe des relations sociales et des institutions qui précèdent le statut de citoyen, et sur lesquelles le débat démocratique ne saurait avoir prise15.
La définition de l'institution
Qu'est-ce donc que l'institution? Du point de vue philosophique, l'institution n'est pas un simple état de fait, ce n'est pas la simple nature des choses ou ce que les juristes appellent la «possession d'état». L'institution, c'est d'abord la façon dont la communauté s'organise et se structure. C'est aussi la structure d'autorité dont la communauté se dote. Mais au-delà de cette organisation, l'institution est essentiellement une parole, la parole par laquelle, ou autour de laquelle, la communauté se rassemble.
L'institution, pourrait-on dire, c'est l'ensemble des paroles qui sont reconnues par la communauté comme l'expres​sion(officielle) de son identité et de ses projets. Ce sont les paroles qui disent la normalité et précisent la direction dans laquelle le groupe espère se construire. Ce sont les repères, les référentiels sur lesquels la société veut se bâtir et qui constituent le cadre juridique par lequel les expériences individuelles vont recevoir leur sens et être rattachées (ou détachées) du projet communautaire.
Certains théologiens, dans les années récentes, ont également travaillé la question de l'institution, plus précisément en rapport avec le thème de l'Eglise. Christian Ducoq, par exemple, vient de publier un ouvrage qui est au coeur de notre sujet, Précarité institutionnelle et règne de Dieu'6 dans lequel le théologien dominicain définit la finalité de l'institution ecclésiale en disant qu'«elle a pour fin de permettre aux croyants d'affronter ensemble la longueur du temps et de briser la clôture locale des communautés spontanées ou informelles (...). L'institution maîtrise le temps et l'espace, elle universalise.»17
Inscription de Inexpérience individuelle dans le tissu communautaire
II est indubitable que l'oeuvre de la grâce, dans le coeur des hommes, a pour effet de désenclaver leurs expériences individuelles, en tissant entre elles et celles des autres croyants
toutes sortes de liens. Elle fait des croyants les membres d'un corps, les membres d'une famille. Et c'est une des vocations de l'institution, précisément, que de matérialiser ce lien familial.
Son inscription dans la durée du temps
L'Eglise, de surcroît, n'est pas seulement un événement intérieur et ponctuel, elle est aussi un événement public qui s'inscrit dans la durée. Or, comme le développe Christian Ducoq, il n'existe pas de réalités collectives permanentes qui ne soient instituées. Le caractère informel de certains événements est incapable d'affronter la durée. L'institution ecclésiale n'a d'autre fin que de permettre aux croyants d'affronter ensemble la longueur du temps. C'est l'institution qui inscrit l'événement dans la durée et assure la visibilité de la recherche de Dieu (la «traçabilité» de la foi chrétienne au fils du temps).
Du reste, la crise de l'institution que nous vivons aujourd'hui n'est-elle pas imputable partiellement au fait que nous vivons à une époque dans laquelle le rapport au temps a été profondément modifié?
Si l'on en croit les observateurs de révolution de la pensée sociale, l'ère «postmoderne», dans laquelle nous serions définitivement entrés, se caractérise par le règne du transitoire, de l'instable, du désarticulé, de l'ambivalent. Les individus sont placés devant une problématique temporelle nouvelle, où le présent est déconnecté de toute référence extérieure qui lui donnerait un sens. D'où l'extrême difficulté que peuvent éprouver les jeunes, aujourd'hui, à penser l'avenir sur le mode de la promesse. Ils choisissent comme espace d'appréciation la saisie d'un instant détaché de tous les autres, sorte de démembrement temporel: l'instant présent étant coupé de son passé et incapable de se rattacher à un avenir, incapable de bâtir une espérance dans la durée.
C'est ce démembrement du temps qu'un auteur contemporain, Zaki Laïdi, a désigné par l'expression la «tyrannie de l'urgence»: l'exigence du tout tout de suite, et le refus, parfois violent, d'accepter toute forme de réalisation différée, qui est ressentie comme une forme d'échec'8. De ce fait, se met en place un nouveau mode de reconnaissance, un système de reconnaissance immédiate, dans lequel l'émotion joue un rôle fondateur et «instituant» (au sens le plus profond du terme).
Or, il y a dans cet enfermement, en un temps (présent) déconnecté de ses racines, une dimension mortifère, stérilisatrice, dont l'espérance chrétienne, nous en sommes convaincus, veut nous prémunir. Dans ce contexte particulier, une des caractéristiques de la spiritualité chrétienne sera de casser cet isolement, en retissant autour de la personne croyante tous les liens temporels qui donnent sens à son vécu.
La théologie de l'incarnation
Par-delà l'inscription dans le tissu communautaire et l'inscription dans la durée du temps, il est une autre façon d'aborder la théologie de l'institution, qui consiste à approfondir la théologie de l'incarnation. En effet, la précarité reconnue et assumée de l'institution ecclésiale n'est-elle pas, elle aussi, une des formes de son incarnation?
Dans la temporalité, le don de Dieu assume notre condition, il ne l'abolit pas. Ainsi, le Fils de Dieu s'est manifesté dans la précarité de la chair. Le Verbe de Dieu s'est fait chair, il a marché sur les traces de ses contemporains, il s'est implanté, incarné, dans un monde, dans un corps, dans une famille, une religion, un peuple, un Etat. Le Christ n'a écarté aucune des ambiguïtés de l'incarnation. C'est en elles qu'il a voulu nous rencontrer, c'est en elles qu'il nous a conviés à la foi. Il aurait pu se manifester au monde revêtu de tous les attributs de sa divinité, mais il a choisi de faire de rabaissement de la croix le sommet de sa révélation.
Or, ce qui s'applique au Christ, dans son incarnation affecte également l'institution ecclésiale. A un degré différent, certes, mais en des ambiguïtés plus fortes encore! Dans cette perspective, les précarités de l'institution ecclésiale ne sont pas la preuve que celle-ci aurait perdu de sa pertinence, même si certains le ressentent comme tel. Cette précarité apparaît, au contraire, comme une des formes qui conditionnent la transmission de l'Evangile. Elle crée un lieu dans lequel la foi peut émerger de façon particulièrement significative. Elle est aussi un reflet de l'effacement volontaire de Dieu dans sa manière d'entrer en relation avec les humains. L'institution ecclésiale est le vase de terre dans lequel il plaît à Dieu de communiquer son grand trésor.
En d'autres termes, tout ce qui pourra être relevé de la précarité institutionnelle de l'Eglise parlera également de la façon dont, par elle, le Seigneur a choisi de communiquer son Evangile au monde, dira quelque chose d'essentiel sur la nature des médiations humaines par lesquelles il a choisi de mettre les hommes en relation avec l'Evangile!
En conclusion...
Sous ces différents éclairages, l'institution ecclésiale n'apparaît donc pas comme une donnée accidentelle, mais comme une réalité traduisant une pensée de Dieu, qui la précède et qu'elle manifeste. En elle, c'est un aspect important du dessein de Dieu qui prend corps: il appartient à l'institution ecclésiale, dans ses ambivalences, d'être l'instrument qui apporte aux hommes avec des paroles d'hommes la Parole que Dieu leur adresse. La foi discerne en elle, malgré toutes ses malfaçons, l'effort laborieux de l'Esprit de Dieu en quête de l'homme pour le gagner «de l'intérieur» et l'amener à accueillir l'Evangile d'une façon qui ne soit pas contrainte.
Comme l'a écrit Calvin, dans la belle page de l'Institution où il traite de l'humanité des prédicateurs: «Dieu nous accoutume à obéir à sa Parole, encore qu'elle nous soit prêchée par des hommes semblables à nous, voire même quelques fois inférieurs en dignité. S'il parlait lui-même du ciel [comme il a parlé à Moïse, au sommet du mont Sinaï],
ce ne serait point une surprise si tout le monde recevait immédiatement son dire avec crainte et révérence. Car qui est-ce qui ne serait étonné de sa puissance, quand il la verrait à l'oeil? Qui est-ce qui ne serait effrayé au premier regard de sa majesté? Qui est-ce qui ne serait confus voyant sa clarté infinie? (...) Ainsi, Dieu cache le trésor de sa sagesse céleste en des vases fragiles de terre (...) pour tester davantage en quel estime nous l'avons.»19 Par ce choix, c'est donc à une qualité d'adhésion plus spirituelle que le Dieu de l'Evangile a voulu nous élever. L'humanité de l'instance ambassadrice garantit, quelque part, l'espace dans lequel la foi personnelle peut s'exprimer, espace qui est aussi celui de l'amour, sans lequel nul ne peut connaître Dieu!
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